Dans cette seconde partie de l’entretien exclusif qu’il a accordé à Afrik-Foot, l’ex-international algérien Karim Matmour, détenteur de la licence d’entraîneur UEFA A, décrypte le jeu des Fennecs version Djamel Belmadi à quelques heures du match face à la Somalie ce jeudi dans le cadre des qualifications à la Coupe du monde 2026. L’ancien attaquant a également porté son regard sur la nouvelle vague de Fennecs.
Par Nacym Djender,
Avec votre œil aiguisé à Leverkusen et après votre expérience d’adjoint de Bougherra en sélection d’Algérie des locaux, pouvez-vous nous dire ce qui manque aux jeunes footballeurs algériens pour être aussi forts que ceux qui sont issus de la formation allemande ?
Je vais vous donner une réponse un peu classique, mais c’est bien la réalité malheureusement, en disant que c’est la formation ! Je dirai qu’il y a un potentiel énorme, mais il leur manque la formation tout simplement. Avoir les bases, quoi ! Madjid Bougherra l’avait bien évoqué lors d’une conférence de presse en disant qu’on voulait mettre des choses en place, mais en fin de compte, on se rendait compte que c’était impossible, parce qu’ils n’avaient pas les bases et les connaissances pour concrétiser nos idées. Ces bases-là, on les apprend normalement dans les centres de formation et pas lorsqu’on arrive en catégorie des séniors.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret de ce que les joueurs locaux sont incapables d’appliquer ?
Par exemple, pour rester dans le parallèle du volet psychologique qu’on a évoqué précédemment, le travail cognitif sur les prises d’information, il n’y a rien qui est fait au niveau des clubs en Algérie. En tout cas, personnellement, je n’ai pas rencontré beaucoup de joueurs réceptifs dans ce sens. Je n’ai pas identifié une grosse dose de travail sur ce point précis, sur le travail sans ballon. On a tendance à travailler beaucoup avec le ballon, oui, mais lorsqu’on n’a pas le ballon, on fait quoi ? En fait, le football se joue plus sans ballon. Il y a un seul ballon pour 22 joueurs. Le joueur touche le ballon moins de 5 minutes sur 90 dans un match ! Donc, la plupart du temps, il joue sans ballon. Il fait quoi quand il n’a pas le ballon ? C’est ça qui va déterminer ce qu’on doit faire quand on va avoir le ballon. Et ça, ce sont des notions qu’on doit travailler et c’est tout cela qui doit se faire lors d’une formation complète, et de qualité.
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Vous avez évoqué ce point par exemple avec le président de la Fédération ou le DTN ?
Oui, bien sûr ! Au président comme au DTN avec qui on discutait souvent. Même Djamel Belmadi était de la partie. Il était très présent lors du CHAN. On en parlait avec lui et il nous faisait profiter de son expérience et de ses solutions également. C’était toujours très intéressant de discuter avec Belmadi.
« Belmadi est en train de renouveler son effectif »
Quel regard portez-vous justement sur les Fennecs version Djamel Belmadi ?
Très positif ! Il a réussi, après une phase compliquée à la FAF à stabiliser la situation de l’équipe nationale. Il est en place depuis des années. Il faut bien rappeler qu’il a réussi à hisser l’équipe au rang de championne d’Afrique ! Et là, il est en train de renouveler son effectif, repartir avec un nouveau groupe, ce qui est toujours difficile. Ça demande la patience de tous, parce qu’il faut du temps pour incorporer les nouveaux joueurs. C’est un travail minutieux. C’est un entraîneur sérieux qui fait du travail de très haut niveau.
Parfois, on a comme l’impression que la tactique de Djamel Belmadi n’est pas encore bien définie. Elle n’est pas claire aux yeux des puristes algériens. C’est comme si elle reposait plus sur les exploits individuels de certains éléments. Comment pourriez-vous la décortiquer, vous, en tant que technicien ?
Je me souviens que pendant la CAN 2019, j’avais eu l’honneur d’être consultant sur une chaîne de télévision, et j’avais pour mission de décrypter les matchs. J’avais pu faire la démonstration de la tactique mise en place par Djamel Belmadi. Il y avait bien un plan de jeu qui avait été mis en place et qu’il y avait bien une idée de jeu précise derrière. Après, il faut toujours rappeler qu’actuellement, il y a la nécessité de changer d’effectif par rapport à ce qu’on avait en 2019. Les nouveaux joueurs sélectionnés n’ont que deux jours de présence lors des dates FIFA et, force est de le reconnaître, il est impossible de mettre un plan de jeu en si peu de temps.
Pour mettre en place un plan de jeu, il nous a fallu à notre staff avec Madjid Bougherra de le faire avant le CHAN, pendant des semaines et des semaines en plusieurs stages où on s’entraînait et on travaillait comme en club pour être prêts. Et même comme ça, on a manqué de temps pour la préparation. Il faut avoir les joueurs au moins deux semaines entières pour pouvoir mettre en place quelque chose de correct, on va dire. Ce n’est pas en récupérant les joueurs pour les entraîner une ou deux séances en dates FIFA qu’on peut le faire. Les joueurs sont en récupération en veille de match…
« Aucun entraîneur n’est capable de mettre en place quoi que ce soit en si peu de temps »
Mais ça, c’est le lot de toutes les équipes nationales, n’empêche que certains entraîneurs arrivent à faire jouer leurs équipes de manière plus régulière, on va dire… Didier Deschamps par exemple, on sait qu’il met le paquet sur la défense et son équipe procède généralement par des contre-attaques…
Oui, mais ça c’est différent. Déjà, il y a Mbappé et Dembélé qui vont à 2000 à l’heure devant et, là, c’est plus simple de défendre et leur laisser le plus d’espaces possibles parce qu’on sait qu’ils seront plus rapides que les autres. Quand on a ce genre de joueurs devant et qu’on n’a pas le temps de mettre une tactique devant, c’est plus facile de jouer comme ça. On se laisse de l’espace devant et on compte sur la vitesse des flèches en contres. Ce n’est, à mon sens, pas ça ce qu’on appelle réellement une tactique. La tactique, c’est le fait d’avoir un vrai fond de jeu avec des circuits préférentiels. C’est ça qui est difficile à mettre en place. C’est ça qui demande du temps dans le football.
Est-ce qu’il le fait justement Belmadi avec ses joueurs ?
Bien sûr qu’il l’a fait en 2019. Il a bien réussi à mettre en place une stratégie de jeu lors de cette CAN qu’il a gagnée. Pour faire cela, il faut aussi avoir un groupe avec une ossature et non pas le faire avec des joueurs nouveaux et des changements d’effectif.

Comment pouvez-vous « dessiner » le circuit préférentiel prôné par Djamel Belmadi ?
Actuellement, comme je vous ai dit, il est en phase de reconstruction avec de nouveaux joueurs. Je ne connais aucun entraîneur au monde qui est capable de mettre en place quoi que ce soit de propre en si peu de temps. Même Pep Guardiola ne pourra rien faire en si peu de temps avec un effectif en reconstruction. C’est juste techniquement impossible à faire. On ne peut pas demander à Djamel Belmadi de mettre en place cela en si peu de temps.
« Honnêtement, je ne pensais pas qu’ils allaient donner autant de temps de jeu à Chaïbi »
La solution est donc de se reposer sur les individualités ?
La solution est de faire un mix avec les ingrédients qu’on a. Il faut avoir du temps pour mettre en place un plan de jeu. Et c’est ce qu’il avait fait avant la CAN 2019. Je me rappelle qu’il avait eu la chance d’avoir ses joueurs pendant deux ou trois semaines pour se préparer et il les a emmenés en stage aux Émirats Arabes Unis. C’est là qu’il en a profité pour mettre en place son plan de jeu qui lui a permis de gagner la CAN. Il avait eu le temps pour le faire. Il suffit d’analyser cela et se dire qu’avec un nouvel effectif, avec des joueurs qui n’ont pas encore assez de matchs ensemble, il serait injuste de leur demander d’être performants de suite et gagner la CAN en si peu de temps, avec l’art et la manière. Le beau football, c’est une chorégraphie d’ensemble et tous les joueurs sur le terrain doivent savoir quoi faire sur le terrain. C’est ça le football moderne. C’est la complémentarité de l’ensemble des joueurs et des différents compartiments.
Un mot sur les jeunes pousses que sont les Chaïbi, Bouanani et Amoura ? Chaïbi qui joue notamment dans un de vos anciens clubs…
Oui, l’Eintracht Francfort ! C’est bien qu’il y ait de la jeunesse qui arrive en sélection nationale. Ils sont la relève de cette équipe. Ce sont des joueurs qui ont énormément de potentiel et nous offrent beaucoup d’espoirs pour l’avenir des Verts. En Allemagne, on voit Chaïbi comme un gros potentiel et c’est bien qu’on lui donne beaucoup de temps de jeu. Cela prouve qu’ils ont confiance en lui, malgré son jeune âge. Il a marqué un but récemment contre Dortmund. Il va sans doute monter encore en puissance. Généralement en Allemagne, c’est qu’on fait souvent avec les jeunes qui arrivent. On leur laisse le temps d’adaptation. Ils sont assez patients là-dessus. On leur donne le temps de s’acclimater avec la Bundesliga et à la culture du championnat. On leur laisse jusqu’à cinq à six mois d’adaptation pour permettre aux joueurs de s’habituer à la rigueur du football allemand qui est très dur et très physique.
Ce qui est bien pour Chaïbi, c’est que son entraîneur lui donne le temps de s’adapter sur le terrain et pas en regardant les matchs à partir du banc des remplaçants au risque de commencer à douter de son football…
C’est la preuve qu’il croit beaucoup en lui. Honnêtement, je ne pensais pas qu’ils allaient lui donner autant de temps de jeu au début, mais de l’incorporer petit à petit, comme ils ont l’habitude de le faire. Heureusement pour lui, il a eu rapidement assez de temps de jeu. En fait, en Allemagne, généralement, dans la philosophie des entraîneurs, on préfère souvent donner moins de temps de jeu aux jeunes footballeurs qui viennent de l’étranger pour ne pas les griller. Ils préfèrent leur éviter le risque de douter de leur football en cas d’échec lors des premières prestations et ne pas les exposer à la pression des supporteurs. Surtout en Allemagne où tous les stades sont pleins.
Comment est perçu Ramy Bensebaïni en Allemagne, lui qui n’est pas reconnu à sa juste valeur par certains supporteurs en Algérie ?
Ramy est très reconnu en Allemagne. Il est devenu une référence à son poste ! Il n’y a pas l’ombre d’un doute à son sujet. Il le prouve depuis qu’il est arrivé en Bundesliga.
Rendez-vous jeudi pour la troisième et dernière partie de notre entretien avec Karim Matmour, qui livrera notamment ses favoris pour la CAN 2023.