Algérie : Halim Benmabrouk – “Regragui et le Maroc ont ouvert la voie”

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Seconde partie de notre entretien avec Halim Benmabrouk. L’ex-international algérien passé entre autres par Bordeaux et l'Olympique Lyonnais s’exprime notamment sur la tactique de Djamel Belmadi, le parcours du Maroc à la Coupe du monde 2022 et les meilleurs joueurs africains qu’il a côtoyés durant sa carrière.

Par Nacym Djender,

Quel regard portez-vous sur les Fennecs version Djamel Belmadi ?

Belmadi a fait de bonnes choses pour l’équipe d’Algérie. On ne peut pas lui reprocher quoi que ce soit. Il a ramené sa patte au jeu et au groupe. Il a ramené son savoir-faire en tant qu’ancien joueur très réputé dans le championnat de France et même à l’étranger. Il a injecté du sang neuf dans cette équipe, un état d’esprit qui a ravi tout le monde. Personnellement, je suis pour Djamel Belmadi. Quand on voit d’autres sélections qui font appel à des entraîneurs issus de pays étrangers alors qu’on a des entraîneurs locaux qui ont de grandes compétences…

C’est le cas du Maroc avec Walid Regragui et du Sénégal avec Aliou Cissé qui ont également fait leurs preuves en sélection…

Exactement, et je suis d’autant plus satisfait des résultats obtenus par ces entraîneurs africains qu’on a tendance à oublier qu’on a toujours eu de grands footballeurs parmi nous sur le continent. Pourquoi aller chercher ailleurs ce que nous avons déjà chez nous ? Certains pensent que c’est parce que c’est un étranger qu’il en sait beaucoup plus et qu’il a un savoir-faire que nous n’avons pas. Pour moi, ce n’est pas vrai. Nous avons de grands joueurs africains qui ont de grandes compétences en tant qu’entraîneurs et qui sont capables de faire bien mieux. Belmadi, Cissé et Regragui en sont la preuve !

« Belmadi va se renouveler »

Si on vous demandait de nous décortiquer la tactique prônée par Djamel Belmadi avec les Verts ?

Je dirais qu’à mes yeux, elle n’est pas encore assez portée vers l’attaque de manière constante. On sent la prudence défensive dans le positionnement des joueurs avec des élans offensifs menés en contre-attaque en général. Mais je dis cela et je dois surtout préciser qu’il s’adapte surtout en fonction des équipes qu’il a en face. Ce n’est pas facile de pouvoir changer de tactique à chaque fois. Il renforce bien son milieu de terrain avec des joueurs au profil libres et offensifs qui font l’essentiel du travail pour les attaquants.

Après, avec les joueurs de talents qu’on a devant, on peut créer la différence à tout moment. Il arrive toujours à trouver l’équilibre entre les compartiments. Maintenant, les adversaires ont bien étudié la manière de jouer des Verts et forcément Belmadi va se renouveler en fonction de chaque adversaire. Il sait réfléchir dans ce sens, je lui fais confiance… Surtout qu’il a des joueurs nouveaux qui vont lui donner encore plus d’options à l’avenir.

Justement, lors d’une de ses récentes conférences de presse, il a évoqué la tactique défensive qui a permis au Maroc d’atteindre une demi-finale de Coupe du monde et il a fait miroiter que ça pourrait devenir une option pour le jeu de son équipe. Ne pensez-vous pas que ce serait un gâchis notamment avec la pléiade d’attaquants qui composent son équipe ?

Non, je ne pense pas qu’il va le faire. Le jeu de l’Algérie a toujours été porté vers l’attaque. Il a de plus d’excellents attaquants qui ont rejoint l’équipe, à l’image d’Amine Gouiri et de Rayan Aït Nouri qui est très bon offensivement. Avec les attaquants qu’il a sous la main, il peut affiner son jeu offensif encore plus. Nous avons de très bons attaquants et le choix devient un problème de riches.

Halim Benmabrouk, OL
© IconSport

« Les Marocains nous ont bien régalés »

Le Maroc version Walid Regragui, comment avez-vous vécu cette épopée en Coupe du monde au Qatar ?

J’ai vécu cela de façon fantastique ! Sans être un entraîneur confirmé, Regragui a montré, tactiquement, qu’il était un entraîneur de haute volée. Certes, il a de bons joueurs dans son effectif, mais son mérite est d’avoir su comment les transcender. Le Maroc a prouvé que dans le football d’aujourd’hui, il n’y a plus de petites et de grandes équipes. L’écart s’est bien réduit et tant mieux pour le football. Malgré quelques petites lacunes sur certaines phases de jeu, les Marocains ont su se battre jusqu’au bout, sans jamais rien lâcher. Ils étaient très combatifs et ont cru en leurs forces jusqu’au bout. Avec Ounahi et Amrabat au milieu du terrain, cette équipe du Maroc avait fière allure ! Ils étaient très solidaires et complémentaires. Ils nous ont bien régalés en tout cas. Ils ont fait une Coupe du monde extraordinaire.

La CAN en Côte d’Ivoire approche à grands pas. Quel quatuor voyez-vous composer les demi-finales ?

Ah, là, c’est très ouvert à mon sens ! Franchement, cette édition-là, entre le Maroc, l’Algérie, le Cameroun, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Égypte ou le Nigeria, ça va être une CAN bien difficile pour tout le monde. Il est impossible de deviner qui pourrait gagner le titre final. Toutes les équipes sont fortes et ont un potentiel énorme. En tout cas, ça va être très intéressant à suivre.

Si vous aviez un mot à lancer à l’attention des footballeurs binationaux d’origine africaine qui vont rater la CAN parce qu’ils hésitent encore, que leur diriez-vous ?

Il faut d’abord les comprendre avant de les juger. Ce n’est pas facile de tourner le dos à la sélection de votre pays de naissance, là où vous avez passé toute votre vie. C’est aussi leur pays ! C’est difficile de dire non. Surtout que la différence de niveau est importante entre l’équipe de France et les équipes africains, même si le Maroc a prouvé que le niveau n’était aussi grand.

« Belloumi avait bien le niveau pour jouer en France »

Les mentalités peuvent-elles changer après ce qu’a réalisé l’équipe du Maroc ?

Bien sûr qu’elles vont changer et heureusement qu’elles vont changer ! Il est temps pour que les équipes africaines y croient pour aller chercher le titre mondial. J’espère que d’autres nations vont faire aussi bien que le Maroc et bien mieux encore. Le Maroc a ouvert la voie pour toute l’Afrique ! J’espère que ça va arriver bientôt. Mais je peux comprendre que, pour les joueurs, le choix entre la France et le pays d’origine de la famille soit difficile à prendre. Et c’est normal aussi qu’on soit déçu de l’autre côté. Il faut que les gens puissent comprendre que les jeunes doivent penser aussi à leur carrière, l’avenir de leur famille. C’est un choix extrêmement compliqué à faire pour les footballeurs binationaux.

Guy Roux avait dit un jour : « Les meilleurs footballeurs binationaux formés en France, doivent donner la priorité à l’équipe de France et ceux qui ont un niveau en dessous peuvent aller jouer pour la sélection du pays d’origine de leurs parents ». Vous êtes d’accord avec cela ?

Guy Roux l’avait peut-être dit de manière brute, mais dans le fond, il voulait certainement dire qu’il y a une logique à respecter. Ce n’est pas méchant, à vrai dire. Ce n’est pas un choix par défaut, c’est un choix naturel. Les pays africains devraient juste mieux organiser leurs équipes et élever leur niveau au-dessus de celui de l’équipe de France ou des équipes européennes pour voir tous ces joueurs binationaux courir porter le maillot de leurs pays d’origine. C’est une question de vitrine. Il faut que équipes africaines jouent les premiers rôles à l’échelle mondiale pour espérer attirer tous ces talents en déperdition. Gagner des titres majeurs, ça va inverser la situation.

Vous qui avez joué avec des joueurs issus du championnat d’Algérie, quel regard portez-vous sur le talent des internationaux algériens locaux ?

J’ai toujours défendu les joueurs locaux. J’avais parlé à l’époque avec Merzekane (un excellent latéral droit qui évoluait au NAHD, ndlr), il avait un talent fou ce joueur ! J’ai toujours voulu le voir jouer dans un grand club en France. J’ai tout fait pour l’aider à nous rejoindre en France, parce que je ne comprenais pas ce qu’il faisait encore dans le championnat d’Algérie. Je l’aimais beaucoup. Il avait largement sa place dans le top 5 du championnat de France. C’était un super joueur !

Et Belloumi ?

Oui, Belloumi aussi pouvait facilement jouer dans un grand club en France. D’ailleurs je ne comprends pas pourquoi il n’est pas parti comme Bensaoula, Assad, Menad et Madjer.

On dit qu’il voulait rester en Algérie…

Ce n’est pas ce que j’ai entendu. Moi, on m’avait dit qu’il n’avait pas reçu de demandes concrètes. Mais je ne sais pas si c’est vrai. C’est ce qui se disait à l’époque, en tout cas. Mais je ne comprends vraiment pas pourquoi il ne s’est pas expatrié alors qu’il avait bien le niveau pour jouer en France. Il y avait des joueurs locaux très talentueux en équipe nationale à notre époque.

Halim Benmabrouk, Bordeaux
© IconSport

« Celui qui m’a le plus marqué ? Je vais dire Madjer »

La force de frappe de l’équipe d’Algérie, c’était qui à votre époque ?

On avait une belle attaque entre Djamel Zidane, Assad et Madjer et puis Menad surtout ! C’était une attaque hyper-intéressante.

On va vous bousculer un petit peu en vous demandant de nous citer les trois meilleurs footballeurs africains que vous avez croisés durant votre carrière en France

Ce n’est pas facile (il rigole) … Celui qui m’a le plus marqué, je vais dire Rabah Madjer. C’est quelqu’un avec qui je m’entendais bien. C’était un joueur éblouissant !

Madjer premier. Le deuxième sur le podium ?

Je dirai Aziz Bouderbala, le Marocain. C’était un joueur exceptionnel ! Un grand technicien. En plus d’être un homme d’une grande gentillesse. C’est quelqu’un de fantastique aussi.

Troisième ? vous pouvez citer mêmes des joueurs que vous avez croisés en championnat…

Ah, ok ! Alors là, il y en a pleins. Je dirai, sans hésiter George Weah. Il avait une puissance incroyable.

Et techniquement parlant, lequel des trois avait le plus de ballon ?

Ah, là c’est un casse-tête que vous me demandez (il se marre franchement). Non, non, parce que Madjer et Bouderbala étaient des magiciens balle au pied et Weah avait un autre registre tout aussi convaincant. Désolé, mais je m’interdis de comparer entre ces trois géants du football africain que j’apprécie énormément.

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Nacym Djender