CAF ranking : l’Afrique du Nord, une hégémonie controversée mais logique ?

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Le dernier classement des 12 championnats les mieux classés par la Confédération africaine de football (CAF) révèle la suprématie du Nord sur le reste du continent. Les moyens financiers et le poids de l’histoire des clubs d’Afrique du Nord expliquent cette hégémonie. L’Afrique du Sud portée par Mamelodi Sundowns joue les trouble-fête. L’Afrique de l’Ouest accuse un grand retard même si le Nigeria et la Guinée grâce au Horoya subsistent tant bien que mal.

Par Yoro Mangara,

Le top 12 des meilleurs championnats de football en Afrique est une photographie des derniers tableaux finaux des compétitions africaines de clubs. Sans surprise, l’Afrique du Nord tient le haut du pavé avec la présence du Maroc, de l’Égypte, de l’Algérie, de la Tunisie et la Libye. Soit l’intégralité des pays de cette partie du continent. On retrouve l’Afrique du Sud et l’Angola pour la partie Sud de l’Afrique. L’Afrique de l’Est est représentée par le Soudan et la Tanzanie, la RDC sauve la zone centre alors que l’Afrique de l’Ouest qui compte le plus grand nombre de pays, n’a que deux représentants, le Nigeria et la Guinée.

Critères et privilèges du Top 12 africain

Chaque année, la CAF dévoile la liste des 12 championnats d’Afrique les plus compétitifs. Pour la saison 2023-2024, on y retrouve l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, l’Afrique du Sud, la Tanzanie, la Libye, l’Angola, la Guinée, le Nigeria, la RDC et le Soudan. Un classement établi sur plusieurs critères objectifs dont la performance des clubs dans les compétitions continentales de clubs. « Les critères pour établir ce classement sont le nombre de victoires dans les compétitions de club de la CAF, le ratio qu’ils ont entre la participation et les victoires. Ce qui détermine ensuite le nombre de clubs en phases finales de la Ligue des champions et de la Coupe de la CAF et qui leur évite les préliminaires », a expliqué Aliou Goloko, membre de la cellule communication de la CAF, interrogé par Afrik-Foot.com.

Un classement dont les paramètres de désignation ne font pas l’unanimité à en croire notre confrère Franck Simon, interpellé par Afrik-Foot.com sur la question. « Parmi ces 12 pays, les réalités sont extrêmement diverses. Ce n’est pas la même chose d’être un club nigérian que d’être un club sud-africain ou égyptien, qui plus est un club de haut niveau. Il n’y a rien de comparable entre un club de bas niveau nigérian et les Sundowns ou le Ahly du Caire. Le fossé est abyssal quand bien même le Nigeria est dans cette liste. Je considère que la Zambie mérite plus sa place dans cette liste que le Nigeria », souffle le journaliste français, spécialiste du football africain.

De son côté, Aboubacry Ba remet en question la pertinence des critères d’établissement d’un tel classement. « Le championnat ivoirien qui bénéficie de moyens est en train de se développer mais ne figure pas dans le Top 12. Le championnat guinéen est représenté dans ce top 12 sur la base des résultats d'un seul club. Il n’y a qu'un seul club guinéen qui jusqu'ici, rapporte des points justement dans le ranking de la CAF à la Guinée. Est-ce qu'un seul club peut déterminer le niveau d'un championnat ? Je ne le pense pas. Il est important de faire cette différenciation », a rappelé le directeur de CIS Média.

Quoi qu’il en soit, ce classement permet à ces pays du Top 12 de bénéficier de 2 représentants en Ligue des champions et de 2 autres en Coupe de la CAF (contre un seul pour les autres). En plus d’une exemption des tours préliminaires pour leurs meilleurs représentants dans chacune des compétitions. « Comme vous le savez il n'y a pas énormément de variété dans ces poules de la Ligue des champions ou de la Coupe de la CAF. On retrouve quasiment les mêmes pays. Ce qui veut dire que ces pays engrangent d'année en année des points qui leur permettent de garder les privilèges de leur championnat, sans que cela ne reflète forcément le vrai niveau de leur championnat », a renchéri Aboubacry Ba

L’Afrique du Nord sur son perchoir

Le tableau de ce Top 12 laisse apparaître la domination du Nord de l’Afrique et ses 5 représentants : l’Égypte, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie et la Libye. Si les critères qui déterminent cette liste sont remis en cause, la présence de la totalité des championnats nord-africains suscite l’unanimité. « Cette domination de l’Afrique du Nord dans ce classement s’explique simplement par le fait qu’ils ont les meilleurs championnats. L’Égypte trône au-dessus grâce à ses deux clubs mythiques Al Ahly et Zamalek, avec tous les trophées africains. Suivi du Maroc où des clubs comme le Wydad et le Raja ont toujours joué les premiers rôles en Afrique. Ensuite la Tunisie, l’Algérie… La plupart de ces pays ont remporté des Coupes de la confédération, des Ligues des champions de la CAF. Cela confirme leur hégémonie », a décrypté Aliou Goloko.

Cette hégémonie s’explique en grande partie par la puissance financière. « La vraie différence se fait au niveau des infrastructures et de l'organisation des championnats. En Afrique du Nord, des moyens sont mis à la disposition des clubs. Aujourd'hui, ces clubs de l'Afrique du Nord sont économiquement plus puissants, plus viables et plus sains. Ils sont devenus de véritables entreprises. En Egypte, il y a Al Ahly, Zamalek, Pyramids FC. En Tunisie, il y a l’Espérance Tunis, Sfax. Le Wydad, le Raja et la RS Berkane au Maroc. Ce sont de véritables entreprises qui ont un modèle économique basé sur le soutien populaire des supporters, sur un sponsoring très rigoureux et une gestion qui n'a rien à envier aux plus grands clubs européens », a reconnu Aboubacry Ba.

Sur les 10 dernières éditions de la Ligue des champions de la CAF, 8 ont été remportées par des clubs d’Afrique du Nord. Une fois pour l’Algérie (ES Setif en 2014), deux fois pour la Tunisie (Espérance Tunis en 2018 et 2019), deux fois pour Maroc grâce au Wydad (2017 et 2022) et trois titres pour l’Égypte (Al Ahly du Caire en 2020, 2021 et 2023). « Cette domination de l’Afrique du Nord sur le football continental c’est bien sûr le degré d’organisation et de professionnalisme dans la gestion quotidienne des équipes, les infrastructures à leur disposition, l’encadrement technique, la culture foot, le supportérisme. Dans ce domaine, l’Égypte et le Maroc écrasent la concurrence. L’Algérie n’est pas très loin alors que la Tunisie a un petit peu reculé », renseigne Franck Simon.

Notre confrère ne manque toutefois pas de préciser la précarité dans laquelle baignent ces championnats considérés comme les meilleurs d’Afrique. « Tous ces championnats souffrent d’une certaine fragilité politique dans ces pays. Il y a une grosse crise dans la Botola au Maroc avec des clubs très endettés. La Tunisie depuis la révolution il y a une dizaine d’années, pareil. Il y a une chute terrible, les meilleurs clubs tunisiens ne parviennent plus à attirer les meilleurs joueurs. La régularité des compétitions, le niveau des étrangers qui y évoluent, des entraîneurs européens et sud-américains qui y vont, les meilleurs clubs et leur prestation dans les compétitions interclubs africaines ou arabes. C’est assez logique qu’on les retrouve si fortement représentés dans ce Top 12 », a-t-il ajouté.

Ce gap entre les championnats d’Afrique du Nord et le reste du continent n’est pas parti pour se réduire de sitôt. Encore moins lorsqu'on voit migrer chaque année les meilleurs joueurs des championnats subsahariens vers l’Afrique du Nord. « On propose de bons contrats dans les clubs d’Afrique du Nord. Cela explique cet important contingent de joueurs étrangers. Bouly Sambou du Sénégal par exemple était au Jaraaf, puis recruté par le Wydad. Il fait de très bons matchs. Là ils vont bientôt le vendre au plus offrant. Pareil pour des joueurs du Congo, du Mali, du Nigeria, de la Côte d’Ivoire… Ces clubs nord-africains font leurs emplettes de très bons joueurs dans ces pays subsahariens. Dès que ces derniers ne partent pas en Europe, ils arrivent à les faire signer de bons contrats lucratifs, avec des avantages matériels. Bien mieux que dans leur pays d’origine », a reconnu M. Goloko.

La décadence de l’Afrique subsaharienne malgré l’Afrique du Sud

En face, l’Afrique subsaharienne connaît une nette régression. Toujours présente dans ce Top 12, la RDC a perdu du terrain à l’instar de sa locomotive, le TP Mazembe, qui peine même à intégrer la plus prestigieuse des compétitions de clubs en Afrique : la Ligue des champions. Vainqueurs de l’édition 2015 face à l’USMA d’Alger, les Corbeaux sont désormais abonnés à la Coupe de la confédération. L’équivalent de la Ligue Europa de l’UEFA. Une perte de vitesse notable qui a des origines internes au championnat congolais mais aussi d’une structuration totalement différente de ce qui se fait en Afrique du Nord.

Pourtant, le modèle du TP Mazembe a fait ses preuves avec à la clé une domination au début des années 2010. « En général, les clubs d'Afrique subsaharienne sont basés sur le mécénat. Ils dépendent de la santé financière d'une personne ou d'une entreprise. Ces clubs ne génèrent pas la totalité des moyens dont ils ont besoin pour être performant. Le TP Mazembe a initié quelque chose de très intéressant, invite M. Ba. Un modèle qui pourrait permettre aux clubs d’Afrique subsaharienne de combler le gap qui les séparent avec les clubs du nord ou sud-africains. Il y a une nouvelle voie qui est en train d'être explorée par les clubs qui vivent de la vente de leurs joueurs, les clubs-centres de formations.  Le vrai handicap de ces clubs est de rester dans la durée. Chaque année, leur ambition est de vendre leurs meilleurs joueurs », a-t-il reconnu.

« En Afrique subsaharienne, le Nigeria n’est plus ce qu’il était, il n’a plus de grands clubs depuis Enyimba, reconnaît M. Goloko. Pareil pour le Sénégal avec la Jeanne d’Arc ou la Côte d’Ivoire malgré l’ASEC Mimosas qui fait de la résistance. Au Soudan, Al Hilal et El Merreikh font aussi de la résistance grâce à des moyens consistants. Cela dépend beaucoup de la structuration du championnat dans lequel évoluent ces clubs-là. En RDC, le TP Mazembe rivalisait en Afrique. Mais depuis quelques années, il a perdu de son lustre. L’AS Vita Club n’est plus ce qu’elle était. La RDC a naturellement perdu du terrain. Seule l’Afrique du Sud tient tête aux pays d’Afrique du Nord et avec un seul club, les Mamelodi Sundowns », a-t-il analysé.

L’Afrique du Sud résiste en effet tant bien que mal grâce notamment aux bonnes performances des Mamelodi Sundowns. « L’Afrique du Sud a 4, 5 grands clubs comme les Sundowns, les Kaiser Chiefs, les Orlando Pirates… Ce championnat a traditionnellement eu beaucoup de moyens même si le niveau de la compétition n’est pas aussi élevé. Il n’y a qu’à regarder les résultats entre les équipes, ce n’est pas aussi serré qu’ailleurs. L’Angola, pareil, ils ont de gros moyens. Idem avec la Zambie, une des nations phares d’Afrique australe où on tente de professionnaliser même si ça manque d’infrastructures », a listé F. Simon.

CAF ranking : l’Afrique du Nord, une hégémonie controversée mais logique ?

Yoro Mangara

Journaliste, passionné de foot et grand défenseur du football africain.