Didier Roustan, l’Africain…

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Le décès de Didier Roustan, 66 ans après sa naissance à Brazzaville, a fortement marqué le monde du football et des médias français. Mais également en Afrique francophone où beaucoup de médias ont témoigné de l’importance de ce personnage original dans le monde du journalisme. Et pour cause. Car Didier Roustan s’est aussi passionné pour le continent africain… 

Dès 1987, Didier Roustan est venu au Cameroun pour préparer des reportages en vue de la CAN 1988. Claude Le Roy en était le sélectionneur. « Je l’ai vu débarquer avec un ami et la journaliste de TF1, Marianne Mako. Ils sont restés quinze jours à faire de nombreux reportages. A Yaoundé auprès de l’équipe nationale, bien sûr. Mais aussi à Pouma, sur le terrain en pente du village de François Omam-Biyik, et à Kribi. » 

Déjà le sens du décalage d’un journaliste à part. « Il était heureux de revenir en Afrique Centrale où il était né », ajoute l’ancien sélectionneur des Lions Indomptables. Fils d’une Martiniquaise et d’un père impliqué dans les instances financières internationales, il était donc né et avait passé ses trois premières années à Brazzaville, alors capitale de l’Afrique Equatoriale Française. Avant de rejoindre la France, dans sa ville de Cannes, tout au sud… 

J’ai beaucoup vu Didier Roustan lors des années 90. Pour l’écriture de mon livre sur la saga de « la palette », j’ai bien sûr tenu à le voir. Nous nous connaissions depuis bien longtemps, et notamment ces années Canal+ (1989-1992) où Didier Roustan avait développé un magazine de reportages documentaires novateur, « Mag Max ».

Le reportage a, en effet, été la première grande spécialité de ce journaliste inclassable. Comme tous les amateurs de foot de mon époque, j’ai été marqué par ses reportages originaux dans « Téléfoot » (TF1) dès la fin des années 70. Tout gamin, Didier Roustan affiche d’emblée, en effet, un sacré culot. Mettant un loup dans le vestiaire de l’OM ou une panthère dans les bras du roi Pelé !

Ancêtre de la palette

Mais j’ai aussi en souvenir l’usage de la palette graphique pour écrire ou dessiner sur des images vidéo. Par exemple en 1987, pour mieux pointer une tactique de jeu lors d’un Marseille-Hajduk Split, où il divise le terrain en quatre. Et c’est à la recherche des racines de la palette que je l’interroge. 

Mais Didier ne se veut pas Khalife à la place de la « Palette à Doudouce ». « En fait, je n’ai jamais utilisé la palette graphique, consent-il. J’ai toujours bricolé pour essayer d’expliquer un point tactique ou une action. Parfois avec le doigt, la pointe d’un stylo, voire d’un cercle incertain grâce à un technicien informatique. Mais l’idée était là ». De fait, la palette était absolument dans le style de ce que Didier Roustan aurait pu créer à la télévision. Tant il avait le sens de la technologie et de l’image. 

Novateur, il l’est également dans ses commentaires de match, comme à l’Euro 1984 ou, plus tard lors de la Coupe du monde 1994 aux USA. Il forme alors un duo inédit avec Eric Cantona, la star de Manchester United. « De temps à autre, il s’évadait, observant le toit du stade ou perdant son regard au loin du terrain, racontait Didier sur son compère. Alors je le laissais tranquille un moment et je commentais tout seul le temps qu’il revienne au match. » 

Didier Roustan, journaliste
© Iconsport

L’épreuve du commentaire

Pour avoir commenté avec Didier lors de son arrivée à Canal+ en 1989 sur le tournoi de Paris, je dois dire que son commentaire était tout aussi atypique. D’autant qu’il officiait en « numéro 1 » et moi en consultant. Entre deux envolées un peu lyriques (d’autant plus qu’il s’agissait d’un match de Vasco de Gama), c’est pourtant moi qui le ramenais de temps en temps à ce qui se passait sur le terrain. 

Il faut dire que Didier était un formidable conteur du football. Ce que l’exercice du commentaire en direct ne permettait pas toujours. Sans doute la raison pour laquelle il n’a que peu commenté durant sa période Canal+. Il faut dire que le patron des sports, Charles Biétry, lui avait confié un magazine original, « Mag Max ». Qui l’occupait à plein temps avec de véritables documentaires à la clef.

Didier Roustan, journaliste
© Iconsport

Là encore, Roustan était en avance sur son temps. Ses documentaires sur Kareem Abdul-Jabbar, Michael Jordan (basket US) ou Joe Montana (foot US) sont des monuments précurseurs des magnifiques documentaires d’aujourd’hui. J’étais fasciné par son travail minutieux qui tranchait avec l’originalité du personnage. « Au Cameroun en 1987, se souvient Claude Le Roy, il avait amené des tas de chemise et se changeait régulièrement au gré des interviews. Pour varier et donner l’impression que c’était sur plusieurs jours. Ce côté minutieux, tout en étant en claquettes et chemise à fleur, c’était tout Didier. Un homme de paradoxes. »

Le paradoxe Roustan

De fait, j’avais réalisé pour lui un documentaire sur le Keirin (cyclisme sur piste à la sauce japonaise). Sa bienveillance et son attention pour mon projet (et jusqu’au montage) m’avait frappé. Dans une apparence « bordélique » et un peu rêveuse, il était extraordinairement travailleur et pointilleux. D’où un mélange grâcieux entre ses reportages très soignés et un ton délicieusement décalé, voire familier. 

Un paradoxe qui plaisait énormément en Afrique au vu du nombre de messages reçu en ce sens d’admirateurs du personnage Didier Roustan. Certes, il avait été, là encore, le premier. « Je me disais toujours que je n’avais jamais vu d’images de la CAN sur la télévision française. Du coup, je suis allé au Maroc en 1988. J’avais adoré. » Mais il a surtout fait le bonheur des oreilles africaines de nombreuses années en étant la voix des matches de Ligue 1 ou coupes d’Europe sur TV5 Monde. Anecdotes, voire chansons, étaient alors au menu de retransmissions joyeuses et originales. Où il n’était pas avare de digressions intéressantes sur le jeu lui-même. 

Son foot à lui !

Surtout, il savait raconter un certain foot. Le beau jeu ! Celui du grand Brésil 70, des années Ajax et Pays-Bas, ou encore Maradona, bien sûr. Ce qui lui donnait une certaine distance par rapport aux matches. Il n’était pas rare qu’il fasse ainsi des références à des joueurs datés. Quand je l’entendais évoquer les frappes de Rainer Bonhof ou Arie Haan, j’étais à la fois amusé (étant de la même génération), mais aussi inquiet en pensant au pauvre téléspectateur éventuellement perdu devant une référence datant de 30 ou 40 ans… 

Mais c’était Roustan, incomparable romantique du football. Doté d’une véritable poésie narrative autour de ce sport aujourd’hui si borné et encombré par les palmarès, les datas et autres certitudes dont il avait horreur. Roustan était tout le contraire, tout en inspiration. Récemment, il avait chanté son amour pour le beau joueur argentin Javier Pastore, tout en expliquant qu’il ne paierait pas une place pour voir jouer Kylian Mbappé

Bien sûr, il reconnaissait l’immense talent du capitaine de l’Equipe de France. Mais il lui préférait la fragilité et l’émotion de Pastore. Trouvant les joueurs actuels un peu robotisés, il préférait toujours la virtuosité aux datas ou au palmarès. A Ronaldo, par exemple, il préférait la grâce et la touche de balle de Messi.

Milla et Maradona !

Dans le passé, c’est Roger Milla qui avait eu ses grâces lors de cette CAN 1988 et durant ses années françaises. Mais, plus encore que l’Afrique, c’est l’Amérique du Sud et l’Argentine qui avait les faveurs de Roustan. Une passion irraisonnée, comme toujours. Il avait ainsi réalisé des reportages étonnant sur Maradona derrière lequel il courrait parfois trois jours dans Buenos-Aires. 

Ils s’étaient finalement si bien trouvés que Didier Roustan a sans doute eu l’une de ses plus belles idées en créant l’AIFP (Association Internationale des Footballeurs Professionnels) avec le génie argentin et Eric Cantona en devanture. En 1995, en pleine affaire Bosman, l’idée était encore une fois en avance sur son temps. Alors que les problématiques d’aujourd’hui (trop de matches, pas d’écoute des acteurs du jeu…) commençaient à peser, il n’y avait pas de syndicat des joueurs au niveau mondial. 

Trois ans plus tard, l’association expirait. Didier Roustan s’était senti trahi par…les syndicats nationaux qui y avait vu une menace. « Alors que nous aurions pu leur donner justement une dimension internationale », regrettait alors Didier. Il avait eu simplement raison trop tôt, la FIFPRO reprenant l’idée et se développant enfin internationalement, y compris en Afrique !  

Président à vie sur L’Equipe !

Il connaîtra une autre déception dans ce style quelques années plus tard avec son « Foot Citoyen ». Même si durant dix années, ses actions et son journal autour du football social avait apporté une vraie fraîcheur. En tout cas, si le style Roustan a duré (48 ans de carrière), c’est qu’il a su varier les plaisirs et être en avance sur son temps. Ses « talk shows » sur l’Equipe TV ont ainsi démarré dès 1999… Finalement, tout chez Didier était point de vue personnel et opinion.

Et lorsque ce style de débat a trouvé son essor, il est devenu tout naturellement « Président à vie » de L’Equipe du Soir, le talk show d’Olivier Ménard. Un côté un peu cabot, Didier Roustan. Membre de l’émission, Nabil Djellit raconte l’anecdote. « Lors de la première émission, tout le monde se place au hasard et on regarde les essais caméras. Didier s’aperçoit que l’angle fait apparaître son début de calvitie. Résultat : il se déplace, se met à côté du meneur de jeu et devient ‘le président' »

Didier Roustan, journaliste
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Ce type de personnage ne pouvait que plaire à l’Afrique. Son attachement au Cameroun sera du reste durable au vu du nombre de fois où il apparut en maillot des Lions Indomptables sur les plateaux. Pour « Mag Max », il se lancera même dans un sacré reportage au beau milieu des forêts camerounaises. Pour mieux cerner le phénomène de la superstition et des sorciers, omniprésents dans le football. 

Et l’Afrique lui rendit bien en appréciant sans modération ce vibrion original, toujours dans les maillots de foot ou tenues les plus improbablement décontractées. Ajoutez-y son goût immodéré pour le football et la musique, et vous avez tout « Roustan, l’Africain » résumé. Que la terre lui soit aussi légère que son humeur badine…

Didier Roustan, journaliste
© Iconsport
Didier Roustan, l’Africain…

DOUCET PHILIPPE

Journaliste ayant débuté à "Golf Magazine" puis le quotidien sportif "Le Sport".
Avant de plonger dans la télévision et Canal+ en 1989.
Commentateur de football et tennis.
Mais aussi créateur de la "palette" et des statistiques sur les grands directs et la Ligue des Champions.
Son engagement dans le sport africain remonte à la CAN 1992 et à toutes les CAN suivantes qu'il a suivi pour Canal+ Afrique.
Chroniqueur sur RFI dans "Radio Foot International".