Élections CAF : Patrice Motsepe, un second mandat comme président fantôme ?

Publié le par , actualisé le

Ce mercredi 12 mars, Patrice Motsepe va être réélu, sans opposition, pour un second mandat à la tête de la Confédération africaine de football (CAF). Mais derrière l’apparente unanimité, son premier règne a laissé des interrogations : influence limitée, gestion déléguée, défis structurels. Décryptage d’un second mandat qui soulève des questions…

Le décor est planté. Un parterre de dirigeants de fédérations, des applaudissements polis, un protocole bien huilé. Sur l’estrade, un homme, avec son costume bleu impeccable, le visage étiré par un sourire béant, célébré par les acclamations nourries de la salle : Patrice Motsepe.

Comme en 2021 à Rabat, le milliardaire sud-africain, unique candidat pour la présidence de la Confédération africaine de football (CAF), va immanquablement reproduire cette scène, ce mercredi 12 mars, cette fois-ci au Caire, dans la capitale égyptienne qui accueille la 14e Assemblée générale extraordinaire de l’instance panafricaine. Une réélection sans la moindre opposition, qui peut revêtir une forme de légitime plébiscite.

Président à distance

Mais, au-delà des images et des discours observés au fil de son premier mandat, une réalité plus complexe s’étale. Quatre ans après son arrivée à la tête de la CAF, au terme d'intenses tractations politiques sous la houlette notamment du président de la FIFA, Gianni Infantino – le fameux “pacte de Rabat” – Patrice Motsepe n’a pas véritablement imposé son empreinte sur l’instance.

Patrice Motsepe, président CAF, Confédération africaine de football, Gianni Infantino, président FIFA
© Iconsport

À distance du fonctionnement quotidien de la CAF, le dirigeant de 63 ans jongle entre ses responsabilités à la tête de la Confédération et ses autres engagements d’homme d’affaires. Rarement présent au siège de l’institution au Caire, il s’y rend de manière sporadique, uniquement pour les réunions où sa présence est absolument nécessaire.

Un mode de gestion en net contraste avec celui de ses prédécesseurs, le Camerounais Issa Hayatou, qui a dirigé la CAF d’une main de fer de 1988 à 2017, ou le Malgache Ahmad Ahmad, dont la présidence fut écourtée par des scandales de corruption.

“Contrairement à Hayatou et Ahmad, Patrice Motsepe n’est pas un administrateur sportif, pose Romain Molina, journaliste d’investigation, qui a publié de nombreuses enquêtes sur la CAF. Il est propriétaire des Mamelodi Sundowns, mais son expérience en matière de gestion institutionnelle du football est inexistante. Cela a des conséquences évidentes : c’est son secrétaire général, Véron Mosengo-Omba, un homme placé là par la FIFA, qui dirige véritablement la CAF.”

Le révélateur Véron Mosengo-Omba

Véron Mosengo-Omba cristallise, en effet, les attentions et incarne, pour certains, le véritable patron de l’instance. Proche de Gianni Infantino, avec lequel il s’est lié d’amitié lors de leurs années d’études à l’université de Fribourg en Suisse, il s’est progressivement imposé comme une figure importante de la Confédération. Au point d’opérer parfois, selon les informations du Monde Afrique, des nominations à des postes clés comme ceux du responsable des ressources humaines et de la direction des associations membres, sans l’aval préalable du comité exécutif.

Patrice Motsepe, Veron Mosengo-Omba, CAF
© IconSport

Ces derniers mois, sa gestion a été mise en cause dans une enquête ouverte par la justice suisse, pour des soupçons de blanchiment d’argent et de primes excessives dépassant jusqu’à cinq fois les montants prévus dans son contrat signé avec la CAF en 2021. Mais faute de preuve, l’affaire a été classée. Parallèlement, un rapport interne publié en août 2024 l’a accusé “d’entrave à la gouvernance, de favoritisme envers certaines fédérations et d’un management autoritaire”. La commission d’audit de la CAF avait recommandé sa suspension provisoire en septembre dernier, mais la requête est finalement restée sans suite.

“La question est désormais de savoir si Véron Mosengo-Omba restera en poste après la réélection de Patrice Motsepe, reprend Romain Molina. Dans une logique institutionnelle normale, il ne serait pas reconduit après un rapport aussi accablant. Mais dans le contexte de la CAF et de la FIFA, rien n’est jamais certain. S’il est maintenu, cela enverra un message clair sur les rapports de force au sein de l’institution.”

Fondateur du quotidien sportif algérien Botola.dz, Nazim Bessol, habitué des arcanes de la CAF, se souvient d’une séquence à la fois cocasse et invraisemblable sur ce rapport interne. Lors d’une Assemblée générale, un membre de la CAF devait apporter des éclairages sur cette affaire. Mais visiblement mal à l’aise, celui-ci a été incapable d’évoquer le dossier devant l’auditoire, s’exprimant “en à peine deux minutes avant de quitter précipitamment la salle”. Une scène qui en dit long sur le climat actuel au sein de l’institution. “Personne n’ose vraiment contester ce qui se passe. On préfère fermer les yeux et exprimer ses désaccords à l'abri des regards”, déplore Nazim Bessol.

Beaucoup de critiques, mais aussi des réussites

Les conférences de presse du Sud-Africain renforcent cette impression. Un discours formaté, des éléments de langage bien rodés, mais sans annonces concrètes.

“Lorsqu’il s’exprime, tout est maîtrisé, bien ficelé, mais cela reste en surface, convient Hervé Penot, journaliste à L’Équipe et suiveur assidu du football africain depuis une vingtaine d'années. En interne, il fait face à des défis bien plus profonds. Beaucoup de présidents de fédérations ne sont pas à la hauteur et freinent le développement du football local. C’est là que réside l’un des plus grands enjeux de son mandat”, nuance-t-il face aux nombreux reproches formulés au dirigeant sud-africain.

Malgré ces difficultés, Patrice Motsepe met en avant certains projets structurants pour le développement du football africain. Son initiative phare, le Championnat scolaire panafricain, lancé en 2023, vise à encourager la formation des jeunes talents du continent. Des avancées encourageantes sont aussi perceptibles sur l’axe du développement du football féminin, sans oublier le succès de la dernière Coupe d’Afrique des nations en Côte d’Ivoire, qui a revivifié l'éclat du football africain sur la scène internationale. Et l’organisation, plutôt régulière, des différentes compétitions (les CAN de catégories inférieures, le CHAN…).

Patrice Motsepe, CAF
©Iconsport

Toutefois, ces progrès se heurtent à une réalité économique : de nombreuses fédérations nationales manquent de moyens pour organiser de telles compétitions, ce qui conduit souvent à solliciter le Maroc comme pays hôte. “La CAF ne peut pas tout faire seule, ce sont les fédérations qui doivent mettre en place des politiques locales. Mais beaucoup préfèrent accuser l’instance panafricaine plutôt que d’assumer leurs propres manquements”, pointe Hervé Penot.

S’il décide de reprendre le contrôle…”

Avec sa réélection assurée, Motsepe sera-t-il davantage exposé, lors de son second mandat, aux critiques liées à une forme de faiblesse ou d’impuissance ? Pas forcément.

On ne devient pas milliardaire en Afrique du Sud sans un caractère bien trempé”, tempère Hervé Penot. Beaucoup le sous-estiment. S’il décide de reprendre le contrôle, il peut le faire. Mais encore faut-il qu’il en ait la volonté.”

Malgré certains écueils auxquels il sera certainement confronté lors des quatre prochaines années, l'enfant des townships de Soweto devrait parvenir à maintenir une forme de statu quo au sein de la CAF. Avec un second mandat qui s’annonce dans la continuité du premier, avec des défis structurels persistants mais sans révolution en vue. Pour espérer une transformation en profondeur, le véritable changement devra venir des fédérations membres elles-mêmes, affirme Nazim Bessol.

“Tant que les assemblées resteront aussi passives et que les décisions seront prises sans véritable débat, rien ne changera fondamentalement. Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il faudrait un sursaut de la part des fédérations, une volonté de reprendre en main leur destin. Pour l’instant, ce n’est pas le cas”, conclut Nazim Bessol.

Avatar photo

Mamadou Oury Diallo