Eugène Njo Léa, l’un des premiers footballeurs africains à avoir évolué en France, est mort le 23 octobre dernier à Douala. Attaquant prolifique, le Camerounais a impulsé la création du plus puissant syndicat de footballeurs français, l’UNFP, en 1961, à une époque où les footballeurs appartenaient à leurs clubs jusqu’à l’âge de 35 ans. Il n’est jamais parvenu à apporter autant qu’il aurait souhaité à son pays et son continent.
Imaginerait-on aujourd’hui Didier Drogba mettre fin à sa carrière de footballeur pour terminer ses études de médecine et embrasser une carrière de chirurgien ? C’est ce qu'a fait Eugène Njo Léa, footballeur international camerounais mort le lundi 23 octobre dernier, à Douala. Intellectuel, diplomate, juriste… il est l’un des premiers footballeurs africains à avoir évolué dans le championnat français. Il quitte Douala en 1951, pour s’inscrire dans un lycée de la région de Roanne, près de Lyon, où l’Association sportive de Saint Etienne (ASSE) ne tarde pas à le repérer. Il fait notamment parler de lui, avec son club du dimanche, au lendemain d’une victoire où il marque 11 des 12 buts de son équipe. De 1954 à 1959, aux côtés de l’Algérien Rachid Mekloufi, il inscrit avec les Verts 70 buts en 133 matchs et participe en 1957 à la conquête du premier titre de champion de France des Verts.
Ce ne sont pas les contrats mirobolants qui ont tracé le parcours du Camerounais mais les villes où il a posé sa besace d'étudiant. Et Njo Léa, qui s’inscrit à l’université de Lyon en 1959, est logiquement recruté par l’Olympique lyonnais. Il reste auprès du futur grand rival de Saint Etienne le temps d’obtenir son diplôme d’études supérieures en droit public et gagne la capitale, Paris, pour l’Institut des hautes études d’Outre-mer. Là encore, il n’échappe pas à l’appel du football et au Racing club de Paris. Star du football la nuit, diplomate stagiaire à Rome le jour, Njo Léa ne peut faire plus longtemps ce grand écart et met fin à sa carrière.
Les footballeurs sont des « esclaves »
L’une des plus grandes victoires de ce footballeur militant a été la création, le 16 novembre 1961, du plus grand syndicat du foot français : l’Union nationale des footballeurs professionnels (UNFP). « C’est lui qui l’a impulsée, confirme-t-on au siège du syndicat, à Paris. Avec Just Fontaine, les deux hommes ont trouvé une oreille attentive auprès du juriste Jacques Bertrand, qui avait déjà essayé de créer un syndicat quelques années plus tôt ». A l’époque, ce sont essentiellement les conditions contractuelles qui liaient les joueurs aux clubs qui ont poussé le jeune Camerounais à se lancer dans cette aventure.
Les joueurs qui signaient un contrat professionnel restaient la propriété de leur club jusqu’à l’âge de 35 ans. C'est leur président qui « décidait de manière unilatérale s’il augmentait un joueur d’un franc ou s’il acceptait de le laisser jouer dans un autre club », se souvient-on à l’UNFP. En 1953, dans une interview au journal France Dimanche, Raymond Kopa, libéré trois ans plus tard pour rejoindre le grand Real de Madrid, déclare que les footballeurs sont des « esclaves ». Ce n’est qu’en juin 1969 que les choses changent avec la création du Contrat à durée librement déterminée. Une révolution qui mettra du temps à gagner toute l’Europe et encore plus le reste du monde.
Progressiste en France, bridé dans son pays
Ce qu’il a apporté au Vieux continent, Njo Léa n’a jamais pu le construire en Afrique, pas plus que dans son pays. « Je voulais que notre continent se donne les moyens de gagner une Coupe du monde. Je voulais sensibiliser tous les gouvernements sur la nécessité d’organiser le football, qui peut être une matière première très rentable pour les pays en développement. J’ai fait, à mes frais, le tour de l’Afrique pour cela. Mais le premier chef d’Etat à me soutenir n’était pas un Africain : c’était le français Georges Pompidou », confiait un Eugène Njo Léa désabusé au quotidien camerounais Mutations en octobre 2001. Le diplomate, ancien ambassadeur auprès du secrétaire général de l’OUA (Organisation de l’Union africaine, aujourd'hui Union africaine), le guinéen Diallo Telli, était pourtant aguerri. Mais rien n’y fait : « J’ai compris pourquoi mon ami Diallo Telli disait que l’OUA est un cimetière de résolutions », expliquait-il.
Idem au Cameroun, où il rentre en 1987 avec l’idée de professionnaliser la pratique du football. Le ministre des Sports, sans doute vexé que le plan n’ait pas été impulsé par ses services, annonce la création d’une commission pour étudier sa viabilité. « C’est à se demander si elle a siégé ne serait-ce qu’une fois », tente-t-on de se souvenir à Mutations, où Njo Léa se rendait au moins un après-midi par mois, quand il trouvait l’énergie nécessaire. « Si je meurs maintenant, sans que ce projet aboutisse, je m’en irai très triste, prévenait-il. J’aurai le sentiment de n’avoir pas donné à mon pays tout ce que j’aurais pu lui apporter ».
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