Foot Solidaire / Jean-Claude Mbvoumin : “Avec la crise, l’Afrique est devenue le marché de l’Europe pour le transfert de jeunes joueurs”

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Ancien international camerounais passé par Dunkerque, Boulogne sur Mer pour finir sa carrière à Sanoi Saint-Gratien dans le championnat de France, Jean-Claude Mbvoumin préside désormais l'association Foot Solidaire. A désormais 39 ans, l'ancien Lion Indomptable vient désormais en aide au jeunes joueurs africains en difficulté, victimes d'agents peu scrupuleux, ou encore qui n'ont pas été retenus dans un centre de formation et qui se retrouvent dépourvus de toute ressource.


Bonjour monsieur Mbvoumin, depuis combien de temps existe votre association ?

Foot Solidaire fêtera ses 12 ans au mois de décembre. 12 ans que nous sommes sur le terrain, même si entre 2009 et 2010 nous avons connu une petite période creuse car nous n'avions pas assez de subventions pour que l'association fonctionne correctement. Dans les faits nous n'avons jamais vraiment arrêté.

Vous évoquez des subventions, d'où proviennent ces aides ?

Pour être honnête, ces subventions ne représentent pas grand chose. Elles nous viennent de la Fédération française, du syndicat des joueurs et de celui des clubs aussi. Mais sur une thématique comme celle-là il ne s'agit pas de faire de la mendicité. En France il y a cette tendance à croire que les associations viennent toujours voir les institutions pour tendre la main alors que là le problème n'est pas principalement financier, il est plus social.

Donc d'après vous en France, les choses ne sont pas faites aussi bien qu'elles pourraient l'être ?

C'est un sujet qui n'est pas encore pris à bras le corps et c'est dommageable car la France est un pays qui regorge de nombreux joueurs africains, notamment francophones. Les jeunes ne sont pas aidés. J'ai eu à rencontrer des dirigeants au plus au niveau, et après 12 années, on en est toujours au même résultat. Les choses avancent lentement et par exemple il est toujours très difficile d'obtenir des subventions. Ce n'est pas normal, mais on espère que ça va venir.

Pourquoi ce traitement minimaliste alors ?

Tout simplement parce que n'est pas une priorité en France, alors que le pays devrait être en première ligne de ce combat, notamment en raison de son contingent de joueurs africains et en comptant aussi ceux qui sont ici et n'ont pas de papiers. On a du mal à arriver à bien faire les choses au quotidien, à obtenir les aides.

Mis à part ces subventions, d'où vous viennent les autres aides ?

Nous avons des donateurs occasionnels de l'étranger comme en Espagne ou en Suisse par exemple, ou encore des joueurs professionnels, comme Landry N'Guemo et d'autres, qui sont au chevet de l'association.

Au quotidien dans votre association, quels sont les cas les plus fréquents auxquels vous êtes confrontés ?

C'est souvent le même scénario, avec un jeune qui arrive en Europe après avoir été amené par un agent, qui a fait payer de fortes sommes d'argent à sa famille et qui se retrouve laissé à l'abandon. Il y a aussi des jeunes qui arrivent, qui font des tests, qui ne sont malheureusement pas concluants mais qui préfèrent rester là, plutôt que de retourner chez eux. Certains viennent d'eux même, envoyés à l'aventure par leur famille. Il y a tous les cas. C'est un problème qui n'est pas franco-français mais international. C'est pareil en Italie, en Espagne, en Belgique. C'est un grave problème mais on a tendance à penser que parce que les médias n'en parlent plus, c'est le signe que tout va bien et qu'ils n'en parlent que quand ça va mal.

A quoi est du ce phénomène  ?

Il est lié une situation d'extrême pauvreté des pays africains, où il n'y a pas de systèmes, ni d'infrastructures mis en place pour que les jeunes restent le plus longtemps possible avant de tenter leur chance en Europe. Il faudrait par exemple organiser des championnats de jeunes. Aujourd'hui, les Fédérations ne font pas encore tous les efforts pour retenir les jeunes. Certains pays manquent vraiment de moyens et dans ce cas, il va de soi que c'est compliqué. Mais pour d'autres qui en ont les moyens, l'accent n'est pas nécessairement mis là-dessus. Il faut travailler pour développer les choses sur le continent africain.

En terme de moyenne d'âge, le joueur africain est celui qui part le plus jeune au moment d'un transfert international…

Quand on considère que les joueurs français par exemple ou latinos américains partent à environ 21-22 ans, le premier départ international pour les joueurs africains se fait à 18 ans et 6 mois. Et encore ça c'est officiellement. Dans la réalité, il y en a qui arrivent et qui sont beaucoup plus jeunes, dès l'âge de 11-12 ans. Même si pour cette catégorie les enfants sont pris en charge par exemple dans des familles d'accueil. Mais ce sont des enfants qui vont être déracinés très jeunes quand même.

Tout à l'heure vous parliez des agents qui vont chercher des enfants pour les laisser ensuite à l'abandon. Qu'est ce qui pourrait être fait pour endiguer ce problème ?

Le souci, c'est la mauvaise information en Afrique. La priorité serait de mieux informer les familles sur le football en Europe, comment réussir, quelles sont les filières… Mais comme dit le proverbe “ventre en famine n'a point d'oreille“. A partir du moment où on sera en mesure d'informer les parents et de vérifier l'identité d'un agent et ses soit disant contacts par exemple, il sera plus facile d'empêcher certaines personne d'extorquer de l'argent aux familles. Il faut vraiment une sensibilisation.

Elle se matérialiserait de quelle manière ?

Les gens pensent qu'il suffit de mettre des articles dans la presses pour que les choses soient faites. Ce n'est pas le cas. Il faudrait clairement des structures dédiées à cette thématique où les familles pourront aller s'informer. Je veux dire par là des centres d'informations et c'est d'ailleurs l'un des projets de Foot Solidaire, qui souhaite lancer des bureaux d'informations à la fois en Europe et en Afrique pour être en mesure de donner des informations sur l'identité d'un agent par exemple et vérifier ses contacts avec les clubs professionnels. Le problème c'est que dans certaines zones, les parents ne peuvent pas aller à l'information et ne savent pas forcément tous les dessous du monde du football.Il faut donc que l'information vienne à eux.

Avez-vous des chiffres sur le nombre de jeunes qui tentent leur chance en France et qui se retrouvent en situation d'échec ?

Au niveau de Foot Solidaire en France, nous avons pu répertorier 1 300 jeunes. Mais on ne peut pas se hasarder à mettre en place des statistiques Pour cela il faudrait travailler en collaboration avec les consulats, les services de migrations. Il faut savoir qu'au niveau de la FIFA, il y a 13 000 autorisations de recrutement de mineurs chaque année. Il y a une commission qui a été créée à cet effet. Mais dans ces 13 000, impossible de connaître la part des mineurs qui viennent d'Afrique.

Donc les chiffres seraient bien plus importants…

Sans doute car avec la crise économique, l'Afrique est devenue le marché à moindre coût de l'Europe. C'est un phénomène qui nous inquiète. Le recrutement s'y fait dans des conditions obscures… Il y a aussi un facteur aggravant qui est la rencontre justement entre ce besoin de recruter et l'envie de départ des jeunes joueurs qui veulent offrir leurs services. Ils sont candidats au départ et ce quelles qu’en soient les conditions.

Un avis sur ces 13 000 autorisations de transfert ?

Il faut préciser que ce chiffre ne prend en compte que les recrutement avec contrat. C'est à dire de façon officielle. Il y a à côté de cela tous les recrutements qui se font de façon sauvage et qui sont peut-être plus nombreux.

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Mansour Loum