Retraité depuis 2019, Éric Mouloungui n’en reste pas moins bien au fait de tout ce qui touche au football gabonais. Dans la première partie de cette interview exclusive accordée à Afrik-foot.com, l’ancien international (39 sélections) fustige la gestion désastreuse du championnat par les instances du football gabonais.
Interview réalisée par Yoro Mangara,
Le championnat professionnel du Gabon traverse une période d’instabilité depuis quelques années. Comment voyez-vous le football local gabonais ?
J’ose dire que la situation du football gabonais est dans un état lamentable voir même catastrophique. Je me rappelle d’où nous étions, même si nous étions amateurs. C’est le jour et la nuit. L'État gabonais est l’un de ceux en Afrique qui a mis le plus de moyens dans le football d’élite. Des moyens qui n’ont clairement pas été utilisés à bon escient pour différentes raisons. Ces derniers temps, le championnat est souvent arrêté et on évoque des salaires impayés. Mais auparavant, lorsque le gouvernement a commencé à mettre de l’argent dans le football local, l’argent était versé comme il fallait. Il y avait un cahier des charges qu’il fallait remplir quand on a voulu professionnaliser le football.
Les clubs devaient travailler à devenir autonomes sur le long terme. Malgré le versement de beaucoup d’argent dans ce football, cet argent n’a pas été utilisé pour profiter aux premiers acteurs qui sont les joueurs. Cela a profité à des dirigeants de clubs. La première chose, ça a été la mauvaise gestion de l’argent alloué par l'État de la part des clubs en tant qu’associations. L'État gabonais a finalement décidé de payer directement les joueurs. Le football gabonais était financé à 100% par le gouvernement du Gabon. Ce qui ne se fait pas ailleurs.
«Le premier responsable, c’est la Fédération»
Normalement, il devait y avoir une grande réflexion par les acteurs du football. La Fédération gabonaise de football devait jouer son rôle comme c’est le cas au Burkina Faso ou au Cameroun avec des subventions aux clubs. Chez nous, la Fédération met 0 franc en subventions pour les clubs. Tout est supporté par l’Etat. Et ce dernier a d’autres priorités que le championnat de football. Le premier responsable de ce que traverse le football local gabonais, c’est la Fédération, qui est l’instance faîtière du football gabonais. C’est elle qui représente notre pays à la FIFA et à la CAF. Elle devrait réfléchir via la Ligue nationale de football pour trouver des mécanismes pour financer notre football.
Il y a eu ce genre de réflexion il y a quelques années mais les cahiers de charges établis n’ont pas été respectés. Les clubs qui ne remplissent pas les critères reçoivent quand même des subventions. Ce qui est incompréhensible. Si notre football est aujourd’hui à l’arrêt, je dirais même qu’il n’existe pas sur le plan local, c’est dû à la mauvaise gestion des dirigeants du football gabonais, en commençant par la Fédération gabonaise de football et les clubs.
Les premières victimes de ce football en déliquescence sont les joueurs locaux qui, certains, se trouvent dans une véritable galère. Est-ce que l’association nationale des footballeurs professionnels (ANFPG) du Gabon fait ce qu’il faut pour protéger ces acteurs ?
Je m’exprime peu il est vrai, je pense avoir un peu d’expérience de mon vécu en France. L’UNFP (union nationale des footballeurs professionnels) en France discute des droits et intérêts des joueurs. Ça fait plusieurs années, je décrie la gestion de l’ANFPG parce que celle-ci encourage et je pèse mes mots, ce qui se passe par rapport à nos jeunes footballeurs. Je suis outré de voir ce que vivent mes jeunes compatriotes depuis plusieurs années. Entre les arriérés de salaire et le reste pour des jeunes qui ont choisi le football comme métier. Le football est censé être un ascenseur social pour des jeunes gens qui sont dans des situations très difficiles.
«L’ANFPG ne fait pas son travail »
Je fustige la gestion de l’association que dirige un petit frère et ancien coéquipier en équipe nationale (Remy Ebanega, ndlr). Il y a un premier constat sur l’ANFPG, qui est devenue une association pérenne, autonome, qui a son siège et des salariés. Si elle existe, c’est pour régler les difficultés que vivent les footballeurs gabonais. Je vois que l'association, elle, devient autonome mais la situation du footballeur gabonais est de mal en pire. Il y a un problème dans ce sens. Ensuite, l’adhésion des joueurs à l’association est problématique. Avant d’y adhérer, les joueurs doivent connaître leurs droits et leurs devoirs. C’est à l’ANFPG de leur expliquer tout cela. Ils sont nombreux à adhérer sans connaître tout cela. Pour qu’une association soit forte, elle doit avoir un important ratio d’adhérents. Que ses adhérents soient parfaitement conscients de ce qu'implique leur adhésion. Cela permet à l’association d’être forte pour quand elle est en face des instances du football.
Pour moi l’association n’est pas forte parce qu’elle n’est même pas capable de donner un mot d’ordre de grève quand les joueurs ont des arriérés de salaire. Pour qu’ils aient un moyen de pression envers la LINAF, la Fédération ou le ministère des sports. Les joueurs n’acceptent pas de les suivre et c’est une chose que je comprends parce que ces soi-disant adhérents ne comprennent pas la démarche de leur adhésion. C’est à l’association de les sensibiliser pour qu’ils comprennent que si vous adhérez à l’association, c’est pour qu’on respecte vos droits. Je suis très déçu de comment elle gère les intérêts de nos footballeurs parce que j’ai déjà vu des arrangements où les clubs doivent plusieurs mois d’arriérés à leurs joueurs. Normalement ils (les joueurs) ne doivent plus continuer de jouer. Après un arrangement avec l'État ou la LINAF, les joueurs continuent de jouer sans être payé. L’association qui est censée défendre les droits des footballeurs ne fait pas son travail.
Ce n’est pas un poisson d’avril😅 il est bien né le 1er.
Aidez-moi à souhaiter JOYEUX ANNIVERSAIRE à l’un des plus grands footballeurs professionnels que le #Gabon connu : Éric Mouloungui alias LA VÉRITÉ😅Plus 250 matchs en pro
40 buts TTC 🇫🇷et 🇵🇱39 sélections 🇬🇦
10 buts pic.twitter.com/rfGl4JvxX2— Freddhy Koula (@FreddhyKoula) April 1, 2021
Cette année, pour la première fois au Gabon, il y a un championnat de football féminin. Quel regard portez-vous sur cette initiative ?
C’est un championnat de football féminin que de nom. Pour moi, un championnat se joue sur plusieurs mois, minimum 6 à 9 mois. Ça ne se joue pas comme un tournoi de football avec 4 ou 6 équipes et derrière il y a un vainqueur. C’est déjà une bonne chose que les féminines puissent jouer même si je trouve que ça ne se joue pas comme il faudrait. Il devrait y avoir plus d’organisation, plus de réflexion par rapport aux différents clubs en province, dans la capitale, pour que les matchs se jouent sur une longue durée. Cela permet aux athlètes de bien évoluer et progresser. On parle de championnat mais cela se joue comme le tournoi qu’organisé la Fédération il y a quelques années dans la ville de Tchibanga. Il y a encore beaucoup à faire pour qu’on puisse appeler cela championnat de football.
Restons sur le football local avec la décadence constatée de certains stades construits ou rénovés pour les CAN en 2012 et 2017. Que préconisez-vous pour préserver ces infrastructures ?
C’était une très belle initiative pour la jeunesse gabonaise d’accueillir une CAN. On a pu en organiser deux. Cela devait donner un nouveau souffle au football et même au sport gabonais. En ce qui concerne l’état des stades, si on compte toujours sur l’Etat pour s’en occuper alors que nos gouvernements doivent s’occuper de la santé, l’éducation que je trouve prioritaires. Les stades sont construits, il fallait réfléchir à quelle institution confier leur gestion. Réfléchir à comment ces stades peuvent s’autofinancer pour éviter cet état de décrépitude comme on le voit avec les stades, d’Oyem, à Port-Gentil, le stade de l’amitié sino-gabonais (Libreville, ndlr). Comment financer l’entretien de ces infrastructures sans pour autant compter exclusivement sur l’état.
Rendez-vous jeudi pour la seconde partie de cette interview, qui sera consacrée à la sélection du Gabon.