Malamine Koné : « Pour réussir il faut d’abord avoir envie de réussir »

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Toutes griffes dehors, la panthère d'Airness conquiert depuis cinq ans, en France, la planète football. A 34 ans, Malamine Koné, son créateur, est, avec ses 100 millions d'euros de chiffre d'affaires en 5 ans, un symbole emblématique de la réussite d'un jeune sorti des cités. Celui qui chérit le travail comme vertu, déplore le manque d'intérêt que lui montre la presse afro alors qu'il a d'importants messages à faire passer à l'Afrique et à la communauté. Interview.


Son altesse Airness. Avec une désormais célèbre panthère comme logo, la marque s'impose, en France, comme l'un des grands équipementiers dans le domaine du football et équipe déjà trois clubs français de Ligue 1. Son créateur, le Franco-malien Malamine Koné est un self made man des temps modernes. Arrivé en France à 10 ans de son Mali natal, il a grandi en cité entouré du béton des tours. A 34 ans, il est aujourd'hui un chef d'entreprise emblématique pour tout ce qu'il représente. S'il se sent avant tout Malien, il ambitionne aujourd'hui, au-delà de ses activités professionnelles, de se consacrer davantage au continent pour contribuer à faire avancer les choses. Il dénonce en France le manque de solidarité de la communauté afro. Tout en assumant son statut de modèle pour la jeunesse des banlieues, il prône le travail comme clé de la réussite.

Afrik.com : Comment a commencé l'aventure Airness ?

Malamine Koné :
Au départ, je voulais entrer dans la police. Avec mon Deug de droit, je voulais devenir inspecteur. Mais en 1995 j'ai eu un accident de voiture qui m'a valu 12 opérations au genou. Fini mes ambitions dans la police ou même dans la boxe. Il a fallu que je rebondisse. Alors j'ai décidé de me lancer en 1999 dans la création d'une marque de sport : Airness.

Afrik.com : A l'époque, plusieurs marques issues des banlieues existaient, mais elles étaient plutôt tournées vers le street wear. Pourquoi avez-vous décidé de vous lancer dans le sport ?

Malamine Koné :
Des marques comme Dia, Come 8, Bullrot ou Royal Wear existaient effectivement déjà. Je me suis orienté vers le sport parce qu'un sportif n'a pas la même valeur qu'un artiste, dans le sens où il y a moins d'effets de mode. Tout le monde se souviendra d'un Pelé, d'un Zidane ou d'un Michael Jordan. J'ai donc essayé de coller ma marque à ce type de personnalités pour la rendre plus pérenne.

Afrik.com : Vous faisiez de la boxe, pourquoi le foot ?

Malamine Koné :
Parce que j'ai voulu faire une marque populaire et que le sport le plus populaire au monde reste le football.

Afrik.com : Pourquoi Airness ? Et pourquoi une panthère comme logo ?

Malamine Koné :
Airness est le surnom du célèbre basketteur Michael Jordan. Cela signifie : ‘Toujours plus haut toujours plus fort'. Airness signifie également ‘No limit', aller au-delà de ses limites. Quant à la panthère, c'était mon surnom sur le ring quand je faisais de la boxe. Aujourd'hui, c'est tout un état d'esprit.

Afrik.com : Comment réagissait-on au départ face à vos ambitions avec Airness ?

Malamine Koné :
On m'a traité de fou quand j'ai commencé. Fou de m'attaquer à un milieu monopolisé par les multinationales comme Adidas, Nike ou Puma. Mais je voulais me prouver certaines choses et prouver, même si ça peut faire cliché aujourd'hui, qu'on pouvait sortir de la banlieue avec du travail et de l'abnégation.

Afrik.com : Quel est le premier magasin qui vous ait fait confiance ?

Malamine Koné :
C'est un magasin Sport 2000 que je suis allé voir dix fois de suite ! A la fin, le gérant se demandait si je ne venais pas pour le braquer (rires). A un moment donné il en a eu marre, il m'a demandé de laisser mes vêtements au magasin en dépôt-vente. Je lui ai dit que j'allais faire mieux que ça. Je les lui ai offerts en lui laissant juste mes coordonnées. Il m'a rappelé le soir même pour me dire qu'il avait besoin de 50 pièces. Il avait tout vendu.

Afrik.com : Quel est le premier footballeur a avoir soutenu la marque ?

Malamine Koné :
Steve Marlet (il jouait à l'époque à Auxerre et est désormais sociétaire du VFL Wolfsburg, Allemagne), un ami d'enfance avec j'ai qui fait toute ma scolarité. Je tiens à préciser que je ne souhaite pas forcément passer par des stars pour promouvoir la marque, mais par des personnes qui dégagent quelque chose. Nos ambassadeurs sont soigneusement sélectionnés. Quand on a une panthère comme logo, il faut forcément que les ambassadeurs aient du caractère, comme Djibril Cissé ou Didier Drogba, qui est aujourd'hui synonyme de technique, de puissance et de vivacité.

Afrik.com : Didier Drogba n'est plus votre ambassadeur, il est désormais chez Nike…

Malamine Koné :
Nous avons fait un contrat de trois ans avec Didier Drogba et ça s'est très bien passé. Il ne faut pas oublier qu'Airness est une marque émergeante et que ce qui m'intéresse c'est de monter avec les jeunes. Je n'ai pas besoin ni envie de miser forcément sur ceux qui sont déjà confirmés.

Afrik.com : Votre réussite vous paraît-elle irréelle ou méritée ?

Malamine Koné :
Elle me paraît normale dans la mesure où j'ai travaillé pour ça. Je ne suis pas surpris car j'ai fourni beaucoup d'efforts pour en arriver là.

Afrik.com : Airness est aujourd'hui une marque de sport. Comptez-vous rester sur cette branche ou vous diversifier dans le street wear ?

Malamine Koné :
Airness est et restera une marque de sport. L'objectif est de s'étendre sur l'ensemble des sports. Nous venons d'ailleurs de signer avec le club de basket de Levallois, en banlieue parisienne. Nous allons signer très prochainement une équipe de rugby parce que la prochaine Coupe du monde de rugby se déroulera en France en 2007. Nous allons également nous diversifier vers l'athlétisme, pour devenir une marque incontournable.

Afrik.com : Pour tout le monde, Airness c'est Malamine Koné. Or, on sait que certaines marques, comme Dia, n'appartiennent pas vraiment à leur créateur. Est-ce votre cas ?

Malamine Koné :
Airness est 100% Malamine Koné. Je suis le seul décisionnaire. J'ai dix sociétés à qui j'octroie des licences. Elles mettent leurs compétences au service de la marque Airness en fabriquant des produits qu'elles distribuent dans leurs réseaux de distribution. Elles nous versent ensuite les royalties. Le fait est que j'ai démarré Airness tout seul et que la marque avait déjà une certaine notoriété quand je suis allé voir des partenaires. Ce qui fait que j'étais un peu en position de force pour discuter. Ce qui n'a pas été le cas de certains.

Afrik.com : Quelle est votre plus belle réussite ?

Malamine Koné :
Ce sont les équipes professionnelles que j'ai réussi à sponsoriser, comme Rennes ou Nantes. C'est une véritable fierté. Avoir une équipe de première division, il y a deux-trois ans, me paraissait impossible. Maintenant, je me retrouve dans la tribune présidentielle, assis à côté des grands patrons de club. Et on m'invite même pour les grandes rencontres européennes.

Afrik.com : Comment fait-on pour convaincre des clubs professionnels de signer avec vous ?

Malamine Koné :
Rennes a signé avec nous parce qu'il y a eu le contact humain et parce que la marque a une véritable histoire. Par ailleurs, nous leur apportons une vraie originalité par rapport aux modèles qu'on leur propose. Le maillot de Rennes a d'ailleurs été élu plus beau maillot du championnat de France. On est jeunes et on a tout à prouver, donc on va forcément se casser en dix pour satisfaire nos partenaires !

Afrik.com : Travaillez-vous en famille ?

Malamine Koné :
Mon grand frère s'occupe de la comptabilité. J'ai d'autres frères qui sont encore à l'école et qui n'ont pas encore choisi leur voie. Pour autant, il n'y a aucun népotisme. Je suis partisan de la bonne personne à la bonne place. Mon frère a, par exemple, fait des études d'expert comptable. Donc je ne vois pas pourquoi j'irais chercher une autre personne alors qu'il a toutes les compétences requises.

Afrik.com : Quelles sont vos ambitions aujourd'hui ?

Malamine Koné :
Le pays. Quand vous traversez le Mali, vous vous rendez compte de la valeur de l'eau du robinet. Vous vous rendez compte de la chance que vous avez et la nécessité d'éviter tout gaspillage. J'estime même ne pas avoir le droit de laisser filer le temps.

Afrik.com : Vous êtes désormais une importante personnalité en France, au Mali et ailleurs. Ne perd-t-on pas, dans cette déférence qu'on vous montre, le sens des réalités ?

Malamine Koné :
Je garde toujours le contact avec le terrain. Que ce soit ici ou là-bas. Je suis toujours dans la cité, ma salle de musculation est toujours à Saint-Ouen, en banlieue parisienne. Quand je retourne au Mali, je vais toujours au village, je mange toujours à la main. C'est comme ça que j'ai grandi. Après, c'est une question d'éducation. Je pense connaître les vraies valeurs de la vie. Je ne mets pas de barrière entre les gens et moi, car nous sommes finalement tous pareils.

Afrik.com : Assumez-vous le rôle de modèle de réussite de jeune de cité que les médias vous collent ?

Malamine Koné :
Oui je l'assume, mais je pense que je ne m'exprime pas assez. Comme sur tout ce qui se passe actuellement dans les banlieues. Il faut que tous les jeunes soient conscients de leurs chances et de leurs potentialités. Il faut qu'ils prennent conscience qu'on peut arriver à beaucoup de choses avec du travail. Certes, la volonté n'est pas tout, il y a d'autres paramètres qui jouent dans la réussite, mais il n'en demeure pas moins vrai qu'il y en a qui ne veulent pas se bouger. Pour réussir, il faut d'abord avoir envie de réussir. Cela demande beaucoup de concessions et de sacrifices. Je suis issu d'une famille de dix enfants et mon père était mécanicien. Je me suis battu pour arriver là où je suis. C'est d'ailleurs ce qui a séduit Alain Afflelou (opticien, ndlr), qui était très ému quand il a vu mon parcours lors d'un reportage à la télé. Car lui aussi est un homme qui s'est fait tout seul et qu'il est déjà passé par là où je suis passé (son fils, à travers sa structure Romain Afflelou Créateur, a signé un contrat de licence avec Airness pour de l'optique et du solaire. Le lancement de la gamme est prévu en janvier prochain, ndlr).

Afrik.com : Vous êtes un entrepreneur noir issu des banlieues. Quel regard que portent sur vous les autres chefs d'entreprise français ?

Malamine Koné :
Je suis l'invité d'honneur, le 15 décembre prochain, d'un cercle fermé de chefs d'entreprise parmi lesquels Jean-Marie Messier et Jacques Attali. J'y suis appelé à prendre la parole devant près de 500 patrons. Je crois qu'à ce niveau-là les gens ne regardent pas la couleur de la peau mais la compétence. Il faut dire qu'Airness a un chiffre d'affaires qui dépasse celui de Reebok, alors forcément on est plus crédible et les invitations viennent maintenant de partout…

Afrik.com : Estimez-vous être un modèle de réussite pour les Noirs en France ?

Malamine Koné :
Je suis un modèle parmi d'autres, il y en a beaucoup qui ont réussi. Je regrette seulement que la presse afro m'ait oublié. C'est un très gros reproche que je lui fait. Je ne sais pas pourquoi. Alors que je suis demandeur. Aujourd'hui, je ne cherche pas la notoriété médiatique. J'ai déjà fait tous les grands médias français et européens. Je cherche désormais à passer un message. Aujourd'hui, la solidarité entre Afros n'existe pas alors qu'elle existe dans beaucoup d'autres communautés. Et j'aimerais que ma réussite puisse contribuer à changer les choses. J'ai réussi, mais il faut que les gens sachent qu'on est toujours ensemble.

Afrik.com : Vous considérez-vous comme français, malien ou franco-malien ?

Malamine Koné :
Je sais d'où je viens. Je suis né dans le village de Niéna, près de Sikasso. Je suis arrivé en France à l'âge de 10 ans. Je remercie la France de m'avoir accueilli et de m'avoir donné une chance, mais je suis Malien avant tout.

Afrik.com : Comment réagissent vos parents quant à votre réussite ?

Malamine Koné :
Mon père est très fier. Il se dit qu'il n'a pas souffert pour rien. Lui qui a traversé le désert algérien pour venir en France. Il est arrivé à l'époque de la reconstruction, juste après la guerre, quand la France avait besoin des immigrés. Il ne parlait que bambara, il a tout appris sur le tas. Quand mon père voit ce qui se passe au Maroc, qui lâche les immigrés dans le désert promis à une mort certaine, il pleure. Parce qu'il est passé par là et qu'il ressent toute la détresse de ces gens.

Afrik.com : L'histoire des immigrés subsahariens, dont de nombreux Maliens, jetés dans le désert, vous affecte-t-elle particulièrement ?

Malamine Koné :
C'est la chose qui me touche le plus. C'est un sujet très grave sur lequel je débattrais même plus que sur ce qui se passe dans les cités. Il y en a qui brûlent des voitures ici, alors qu'il y en a d'autres qui laissent leur famille derrière, qui risquent leur vie pour aller travailler en Europe et qu'on jette dans le désert comme des chiens. C'est pourquoi je me dis qu'il faut que j'arrive, ou que j'ai l'impression d'arriver, à faire quelque chose dans mon pays pour essayer de limiter ça. Car c'est une grosse humiliation pour nous. Pour moi, la solution c'est la solidarité.

Afrik.com : Vous parlez de solidarité entre Africains ou entre membre de la communauté afro au sens large ?

Malamine Koné :
De tout ceux qui revendiquent l'Afrique. On n'a pas besoin de l'aide internationale, on a des milliardaires partout. Et puis il y a plein de gestes symboliques pour faire avancer les choses. Qu'un Mike Tyson construise une maison ou un hôtel au Sénégal ou qu'un Michael Jordan mette les pieds au Mali, cela donnerait immédiatement une nouvelle importance aux pays.

Afrik.com : Vous sponsorisez plusieurs équipes de Ligue 1 en France. Soutenez-vous des équipe africaines ?

Malamine Koné :
Nous avons trois équipes nationales africaines sous contrat : la République démocratique du Congo, la Guinée et le Mali. Mais mon intérêt en Afrique ne s'arrête pas au football. Maintenant que je suis suffisamment solide financièrement, je m'investis dans plusieurs autres choses sur le continent pour proposer du concret à ces pays. Je construis, par exemple, des dispensaires et des écoles au Mali. Et je commence à équiper en matériels certains hôpitaux.

Afrik.com : L'Ivoirien Didier Drogba, le Camerounais Samuel Eto'o et le Ghanéen Michael Essien sont tous trois en lice pour le Ballon d'or européen. Quel serait votre classement ?

Malamine Koné :
Mon préféré, c'est Didier Drogba. Pas parce qu'il a été ambassadeur de la marque, mais pour tout ce qu'il a fait et pour son charisme. Je mettrais Essien en deuxième position. Car il est très combatif et possède vraiment l'esprit d'équipe. Et si ça ne tenait qu'à moi, je ne mettrais même pas Eto'o sur la liste. Parce que, lorsqu'on se revendique champion, il faut assumer son statut. Il aurait dû prendre ses responsabilités en se chargeant du fameux penalty contre l'Egypte. Un penalty qui aurait pu propulser les Lions indomptables à la Coupe du monde 2006.

Afrik.com : Cinq équipes africaines seront au Mondial en 2006 en Allemagne, la Côte d'Ivoire, le Ghana, la Tunisie, le Togo et l'Angola. Quels sont vos favoris ?

Malamine Koné :
La Côte d'Ivoire, le Togo, à qui je tire mon chapeau pour la qualité de son jeu, et l'Angola, un pays qui sort de la guerre et à qui j'aimerais faire un gros clin d'œil.

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David Cadasse