Mali, puits sans fond !

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Le Mali s’enfonce dans la crise ! Eviction expresse du sélectionneur, grève des internationaux A, suspension du capitaine Hamari Traoré… La dernière trêve internationale catastrophique des Aigles a laissé des traces indélébiles. Combien est loin le « Mali puissanci »…

« Dans un football africain de plus en plus professionnalisé, le Mali régresse au contraire dans son organisation et dans ses comportements. Le résultat s’en fait forcément sentir. » En une phrase, Cédric Kanté, l’ancien international malien, a résumé le sentiment général de gâchis associé au football malien. Le mirage d’une génération grandiose est passé. Et on se demande bien si l’excellence de la formation malienne pourra être mise en avant aux prochains J.O. à Paris !  

Car les nuages noirs s’amoncellent. Revenons sur les faits. Après les promesses de la CAN 2019 et l’échec de 2022 contre la Guinée Equatoriale, le Mali avait cru pouvoir mettre son football sur le chemin de la méthode et de l’organisation. Les grands anciens Seydou Keita, Frédéric Kanouté et Cédric Kanté étaient conviés à mettre sur orbite le football malien et sa génération dorée.

Arrive un nouveau sélectionneur, un staff organisé et complet, chose rare au Mali. Lors de la CAN au Cameroun, la Fédération avait ainsi réduit la voilure juste avant le tournoi. Un kiné et un intendant en moins ! Il avait fallu que l’adjoint Fousseni Diawara paie finalement lui-même l’intendant pour garder un minimum de compétence autour de l’équipe. 

Bref, Eric Chelle débute dans de bonnes conditions et les résultats suivent. Mais pas les glorieux anciens, laissés sur le côté par la Fédération dès après le premier rassemblement. Frédéric Kanouté insiste quelques temps (à ses frais !) dans son rôle autour des attaquants. Puis finit par renoncer, découragé… Le soutien des anciens aurait pourtant bien aidé Eric Chelle dans la période actuelle… 

Eric Chelle, Mali, sélectionneur

© Iconsport

Un Président de la FEMAFOOT réélu en prison…

Le premier accroc notable survient autour de la personnalité atypique du Président de la Fédération. Incarcéré depuis août 2023 pour faits de corruption présumés lorsqu’il était Directeur Financier de l’Assemblé Nationale, Mamoutou Touré “Bavieux” sera pourtant réélu à la tête de la FEMAFOOT alors même qu’il est en prison ! Il n’hésitera pas à jouer de son siège pour essayer d’améliorer sa situation personnelle. Il insiste ainsi pour que les joueurs viennent lui rendre visite en prison. Trois joueurs sont alors délégués pour s’y rendre. Jusqu’à ce qu’ils apprennent que les journalistes sont conviés au rendez-vous pour cette opération de comm’ qui a surtout pour but d’obtenir une libération conditionnelle. Les joueurs zapperont le rendez-vous… 

Dès lors, les rapports changent quelque peu et le Président n’hésite pas à jouer un rôle déstabilisant. Durant la CAN, de sa cellule, il prend son téléphone pour appeler quelques joueurs. Et toujours les remplaçants mécontents ! L’échec malheureux contre la Côte d’Ivoire (1-2 après prolongation après avoir mené 1-0 à l’entrée du temps additionnel…) achèvera de condamner le sélectionneur. Certes, il a sans doute mal géré la fin de match, autant pris par l’émotion que ses joueurs et le peuple malien. Et le rêve de battre le voisin ivoirien et de retrouver les demi-finales s’est envolé…

Hamari Traoré, Mali
© Imago

Le départ d’Eric Chelle pourrait coûter cher !

Toutefois, le Ministre des Sports soutient Eric Chelle qui sauve sa place. Après tout, il est le sélectionneur qui a le meilleur ratio de victoires depuis bien longtemps avec les Aigles. Mais la défaite dans les éliminatoires de la Coupe du monde 2026 à Bamako devant le Ghana (encore au bout du temps additionnel…) entraîne le licenciement le plus rocambolesque de la saison. A ce jour encore, Eric Chelle n’en a reçu aucune notification. Il l’a appris par des amis ayant consulté les réseaux sociaux ! Le jour même de son retour d’Afrique du Sud après le périple pour affronter Madagascar. On a rarement vu aussi indélicat. Certes, le Ministre s’était résolu à la décision de la FEMAFOOT. Mais en demandant expressément à ce que tout soit fait dans la clarté. On doit pouvoir faire mieux en la matière… 

Depuis, des membres de la Fédération se sont répandus à la télévision pour dénigrer Eric Chelle, traité de « caractériel » et d’ami zélé du Ministre chez qui « il va boire le thé ». A force de taper fort et maladroitement, la FEMAFOOT se prépare des lendemains difficiles au TAS. D’autant que le contrat du sélectionneur n’est, comme d’habitude, pas très clair. Les juristes peuvent en jouer et lire la fin de son contrat en avril 2025… ou en avril 2028. Ce qui peut singulièrement modifier le montant des indemnités à verser. Pas forcément habile non plus de se brouiller avec un ex-sélectionneur qui est en train de monter une structure de formation au pays. 

D’autant que la FEMAFOOT n’a guère de moyens pour solder un tel dossier. A preuve, le dernier voyage apocalyptique à Johannesburg pour affronter Madagascar, toujours en qualification Coupe du monde. Pour gratter quelques sous sur l’organisation du voyage, la FEMAFOOT a fait arriver les Aigles seulement quelques heures avant le match. Pour un modeste, mais compréhensible, 0-0 au bout… 

« Je comprends la frustration des joueurs » (Cédric Kanté)

Avec un retour qui s’annonçait tout aussi épique, les joueurs ont fini par prendre des billets directement pour l’Europe pour s’éviter deux jours de voyage pour rentrer au pays. A l’arrivée, le communiqué des joueurs a été cinglant. Cédric Kanté approuve : « J’avoue que je ne sais pas comment notre génération aurait réagi à un voyage aussi calamiteux. Mais, à l’époque, on acceptait pas mal de choses. Pour autant, j’approuve totalement les joueurs actuels qui se révoltent. Ils se sont déjà battus pour obtenir des primes en retard. Là, ils font grève. Je trouve qu’ils montrent du caractère et je comprends totalement leur frustration. Ils avaient envie de construire quelque chose, d’aller loin. Or, l’environnement de la sélection ne cesse de régresser. Il n’y a pas de volonté d’aller vers le haut niveau à la FEMAFOOT. »

Les jeunes olympiques pour sauver les Aigles ?

Ce qu’on risque encore de voir à l’occasion des prochains Jeux Olympiques à Paris. Le visage offert par la Fédération n’incitera certainement pas les clubs à lâcher leurs joueurs maliens pour cette épreuve qui n’est pas protégée par une date FIFA. Les négociations menées avec Red Bull Salzbourg et l’Atalanta s’avèrent difficiles. Au stage de Kabala, El Bilal Touré, Nene Dorgeles ou Kamory Doumbia brillent par leur absence. Et tout apport de sélectionnés A est d’ores et déjà condamné par la grève des joueurs. Le sélectionneur olympique Alou Badra Diallo s’est donc résolu à convoquer quelques joueurs de plus de 23 ans… parmi des anciens internationaux des catégories jeunes qui n’ont pas passé le cap des A. 

Alors, quel avenir immédiat pour les Aigles ? Le sélectionneur olympique assurera un intérim chez les A après les JO. Avec quels joueurs ? Selon quelques indiscrétions, la FEMAFOOT a dressé une liste de 10 joueurs dont elle ne veut plus en sélection. Mais les talentueux demi-finalistes de la CAN U23 sont-ils vraiment déjà prêts à prendre le relais ? Cela parait bien tôt. Mais le sélectionneur aura-t-il le choix ? 

La grève des joueurs n’est plus une simple menace. Le capitaine Hamari Traoré, pourtant suspendu et absent à Joburg, a été convoqué sous 48 heures pour venir s’expliquer en tant que capitaine. S’il est suspendu comme la rumeur le dit déjà, de nombreux joueurs pourraient prolonger leur absence, voire arrêter la sélection. Et sonner ainsi la fin d’une génération qui a fait rêver le Mali à des lendemains généreux, sans pourtant offrir de résultat fort à la CAN, ni qualification à la Coupe du monde. Pour 2026, c’est déjà mal parti…

Mali, puits sans fond !

DOUCET PHILIPPE

Journaliste ayant débuté à "Golf Magazine" puis le quotidien sportif "Le Sport".
Avant de plonger dans la télévision et Canal+ en 1989.
Commentateur de football et tennis.
Mais aussi créateur de la "palette" et des statistiques sur les grands directs et la Ligue des Champions.
Son engagement dans le sport africain remonte à la CAN 1992 et à toutes les CAN suivantes qu'il a suivi pour Canal+ Afrique.
Chroniqueur sur RFI dans "Radio Foot International".