Régulièrement confrontées à des débordements racistes ciblant les joueurs de couleur, les autorités russes semblent traîner des pieds pour s'attaquer à ce phénomène, minimisant le niveau de racisme dans le pays. Malgré une loi votée fin 2013, la Fédération continue de jouer double-jeu et rechigne à considérer les joueurs ciblés par des insultes racistes comme de véritables victimes si celles-ci ont le tort de répliquer.
Le scénario est toujours le même. Des insultes racistes, des cris de singe voire des bananes qui descendent des tribunes. Un joueur qui perd son sang-froid et réagi par un geste peu élégant. Malgré ses excuses, le joueur fautif est sanctionné. Toujours. Le club incriminé, lui, plus rarement…
L’histoire s’est répétée cette semaine avec Emmanuel Frimpong. Ciblé par des cris de singe sur le terrain du Spartak Moscou dès le premier match de la saison, le Ghanéen d’Ufa a été expulsé et sanctionné de deux matches de suspension pour avoir répliqué par un doigt d’honneur. Le Spartak lui s’en sort indemne.
“L’inspecteur du match ainsi que le délégué n’ont pas noté d’infraction disciplinaire de la part des supporters du Spartak envers Frimpong dans leur rapport de match. Les caméras de vidéosurveillance n’ont pas capturé de preuve. Nous avons demandé aux stewards, ils n’ont rien vu non plus. Il n’y a pas eu de comportement raciste. Nous n’avons pas de fondement pour prendre des sanctions disciplinaires envers le public“, a sobrement expliqué Artur Grigoryants, le président de la commission de discipline de la Fédération russe (RFU).
“Aucun problème de racisme en Russie“
Des incidents réguliers Mars 2012 : Le Congolais Christopher Samba (Anzhi Makhachkala) est ciblé par un jet de banane sur le terrain du Lokomotiv Moscou. Il la renvoie dans les tribunes. L’auteur du jet est identifié, les résultats de l’enquête transmis à la police. Mai 2013 : L’Ivoirien Dacosta Goore (Alania Vladikavkaz) est expulsé et condamné à 2 matches de suspension pour avoir répliqué à des insultes racistes par un doigt d’honneur sur le terrain du Spartak Moscou. Octobre 2013 : Une partie des supporters du CSKA Moscou adressent des cris de singe et des chants racistes à Yaya Touré (Manchester City) lors d’un match de Ligue des champions. L’UEFA inflige un huis clos partiel au club moscovite. Septembre 2014 : Ciblé par des chants racistes sur le terrain du Torpedo Moscou, Christopher Samba (Dynamo Moscou) répond par un doigt d’honneur avant d’être remplacé à la mi-temps. Il prend 2 matches de suspension. Le Torpedo Moscou écope d’un match à huis clos partiel et 7 400 euros d’amende. Novembre 2014 : Igor Gamula, entraîneur du FK Rostov à l’époque, estime qu’il a “suffisamment de joueurs noirs” dans son équipe et dit craindre qu’ils ne répandent le virus Ebola. Il écope de 5 matches de suspension. Décembre 2014 : Victime de cris de singe sur le terrain du Spartak Moscou, le Gabonais Guelor Kanga (FK Rostov) réplique par un doigt d’honneur. Il prend 3 matches de suspension. Le Spartak s'en tire avec une amende de 1 000 euros pour chants “offensants“, mais pas racistes. Juillet 2015 : Visé par des insultes racistes et des cris de singe sur le terrain du Spartak Moscou, le Ghanéen Emmanuel Frimpong répond avec un doigt d’honneur. Il est expulsé et écope de deux matches de suspension. Le Spartak n’est pas poursuivi faute de preuves. |
“J'accepte ma sanction. Aucun problème. Mais que la Fédération russe affirme ne pas avoir entendu ou vu d'actes racistes, c'est une grosse blague !“, s’est indigné Frimpong sur Twitter. Et la mésaventure arrivée à l’ancien joueur d’Arsenal est loin d’être un cas isolé. Premier joueur de couleur à porter le maillot du Zenith-Saint-Pétersbourg, le Brésilien Hulk explique à la BBC qu’il est confronté au racisme “presque à tous les matches“. Publié en février, un rapport de l’ONG Football Against Racism in Europe (FARE) a dressé un état des lieux accablant. Entre mai 2012 et mai 2014, FARE a identifié 99 comportements racistes ou d’extrême-droite et 21 agressions à caractère raciste dans les stades russes.
Un constat que les autorités locales refusent de voir. “Il y a des problèmes (de racisme, ndlr) de partout dans le monde, mais rien de très sérieux en Russie“, minimise Vitaly Mutko, le ministre des Sports local. “Parfois, les fans scandent des choses racistes mais nous prenons des mesures. Il y a des sanctions. Je ne pense pas que la Russie soit une exception en la matière. Il y a beaucoup de joueurs noirs ici et je ne vois aucun problème.”
Le règlement est là, mais…
En décembre 2013, la “loi sur les supporters” a été votée. Celle-ci sanctionne toute incitation à la haine, à la violence ou au racisme avec un arsenal juridique intéressant sur le papier puisque les peines vont de l’interdiction de stade pour une durée de sept ans, à de fortes amendes en passant par la possibilité d’un placement en détention pendant 15 jours.
Il n’y a que “de rares cas de racisme, nous somme en voie de l'éradiquer complètement“, se félicite même Artur Grigoryants. Impossible pourtant de trouver des statistiques sur le nombre de sanctions prononcées depuis l'introduction de la loi. Est-elle seulement mise en oeuvre ? “Nous avons assez de mesures disciplinaires à disposition dans notre règlement. Mais peut-être ont-elles besoin d’être utilisées de façon plus stricte“, s’interroge Anatoly Vorobyov, le secrétaire général de la RFU.
Grigoryants et les “soi-disantes victimes“
La RFU, une instance passée maître dans l’art du double discours. Avec une vision du racisme très arrêtée. “Oui il y a des provocations dans les tribunes mais un joueur doit savoir rester sous contrôle” et éviter les gestes d’humeur, soutenait Artur Grigoryants en mars dernier, expliquant que la commission de discipline coupe la poire en deux en sanctionnant le club incriminé et les joueurs, présentés par le dirigeant “soi-disant, entre guillemets, comme des victimes“.
Un laxisme qui contribue à encourager indirectement la multiplication des incidents. A l’approche du Mondial 2018 que le pays accueillera, certains préfèrent pourtant afficher une note d’optimisme. “Les autorités ont commencé à s’attaquer au racisme très récemment. Il y a cinq ans, c’était l’impunité, elles ne s’en souciaient pas“, fait remarquer Alexander Verkhovsky de l’ONG anti-raciste SOVA, en rappelant que la société russe et son niveau de racisme “lamentablement élevé” part de loin. “Nous avons besoin de plus d’actions décisives mais le fait que les autorités fassent quelque chose au moins, c’est un progrès“, note-t-il. A trois ans du Mondial 2018, le chemin à parcourir s’annonce pourtant immense.
Retrouvez vendredi la 2e partie du dossier sur le racisme en Russie, consacrée à l'approche du Mondial 2018.